Pour les parents d’enfants néophobes, le but ultime est de réussir à faire manger de tout à leurs enfants. Pour moi, c’est un peu mettre la charrue avant les boeufs, et il y a plein d’étapes à réussir à franchir avant de même pouvoir commencer à envisager de pouvoir goûter un aliment.
La première étant de réussir à ce que les repas ne soient plus un moment d’angoisse pour l’enfant, et que les repas puissent se passer dans le calme et la sérénité, et idéalement tous ensemble, sans isoler l’enfant néophobe. Il est important qu’il apprenne avant toute chose à côtoyer d’autres aliments, à la condition qu’ils restent loin de son assiette. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. Apprendre à côtoyer les aliments, une fois qu’on les accepte de loin (= être dans la même pièce qu’eux), puis ensuite, apprendre à les approcher.
C’est de cette deuxième étape dont je vais vous parler aujourd’hui. J’ai découvert cette technique pendant le tournage de l’émission E=M6, avec Allison, orthophoniste qui travaille de cette manière. C’est aussi la méthode que j’applique avec mon orthophoniste depuis quelques mois, avec des résultats plutôt probants. Il est vrai que j’ai bien évolué, donc pour moi c’est plus facile, et surtout plus rapide, mais cette technique semble tellement évidente que c’est à se demander pourquoi on n’y pas pensé plus tôt !
Avant de sauter dans le grand bain, il faut apprendre à nager. Pour ce qui est des aliments, c’est un peu la même chose : il faut les apprivoiser, les approcher de loin, puis de plus en pus près, et y aller progressivement, franchir toutes les étapes une par une avant même d’envisager de vouloir le goûter. Il est important d’apprivoiser un aliment, d’arrêter de le craindre, et de le découvrir sous tous ses aspects.
- Regarder
La vue est le plus « sûr » des sens, dans le sens où on peut faire ça de relativement loin, et il n’y a que très peu de risque pour le néophobe.
L’observation, c’est ensuite s’en approcher, puis aussi examiner les différents aspects de l’aliment, la peau, l’intérieur, les éventuels grains/pépins/noyaux, les différentes textures, les nerfs, les filaments. C’est commencer à appréhender tout ce qui pourrait faire peur en bouche, et les identifier pour ne pas se laisser surprendre. - Toucher
Commencer par toucher l’aliment avec les mains d’abord seulement, encore une fois il faut y aller très progressivement et ne pas chercher à brusquer les choses. L’objectif n’est toujours pas de goûter, simplement de se familiariser. L’angoisse sera bien moins grande (même si tout de même présente), s’il n’y a pas le couperet de devoir mettre l’aliment dans la bouche à la fin.
Cela peut passer par demander de l’aide pour préparer le repas, en étant bien clair « ce n’est pas pour toi, c’est pour nous / tes frères et soeurs / un dîner entre amis, mais j’aurais besoin que tu m’aides ». On peut lui demander de déplacer l’aliment emballé pour commencer aussi (demander de l’aide pour ranger les courses par exemple), c’est plus « sûr », et puis une fois qu’il sera à l’aise avec ça, passer à l’étape au-dessus et manipuler l’aliment en lui-même, hors de son emballage. Dans tous les cas, il est important ici que l’enfant ne se sente pas en danger, on n’est pas du tout dans le contexte de SON alimentation à lui.Puis une fois cette phase bien acceptée, on peut se rapprocher de la sphère orale. On peut commencer par les joues, pour y aller en douceur, puis se rapprocher petit à petit de la bouche. Les lèvres ensuite, juste poser l’aliment sur les lèvres, sans tenter de le rentrer dans la bouche ou de toucher la langue, juste la lèvre pour déjà commencer à appréhender la texture, et ensuite lécher sa lèvre (seulement la lèvre, pas l’aliment) pour découvrir le goût en douceur. On pourra commencer à découvrir que certains aliments sont très salés, ou plus juteux ou mous qu’on ne s’y attendait.
- Sentir
Le goût est très lié à l’odorat. Cependant, sentir un aliment peut être moins anxiogène pour un néophobe que de devoir faire le geste de le mettre dans sa bouche. Cela peut se faire d’assez loin pour commencer, peut également se faire au cours d’un repas où les autres personnes (famille du néophobe) mangent des aliments assez ou très odorants.Il existe aussi un jeu de société, le loto des odeurs, qui permet de se familiariser avec un certain nombre d’odeurs, que l’on doit reconnaître dans des petits godets non marqués. Même si le périmètre des odeurs est assez limité, et que certaines sont plus réussies que d’autres (certaines odeurs sont très chimiques et difficilement reconnaissables), cela peut être un bon exercice pour un néophobe. On peut bien entendu aussi jouer au loto des odeurs avec ce que l’on trouve dans sa cuisine, les épices et aromates s’y prêtent très bien, ou alors couper de tous petits bouts de fruits par exemple (mais il faut le refaire à chaque fois qu’on joue). L’intérêt des godets est qu’ils sont opaques et percés de petits trous sur le dessus de façon à ne pas voir la couleur / la forme de ce qu’il y a dedans, mais avec un peu d’imagination, on peut facilement en fabriquer soi-même. Il faut penser à bien secouer avant pour que les odeurs ressortent mieux.
Le loto des odeurs Sentosphère
Ne pas aussi hésiter à discuter avec l’enfant, s’il fait une remarque sur une odeur (qu’il trouve que ça sent bon ou mauvais), lui expliquer quel est cet aliment, etc, de façon à ce qu’il se familiarise avec l’aliment également via l’odeur.
- Lécher
Encore une fois, j’insiste, il est vraiment important que l’étape précédente soit bien acquise, totalement acceptée, avant d’envisager de passer à cette étape. On commence à rentrer dans le vif du sujet, et on aborde la phase vraiment délicate pour l’enfant. S’approcher de la sphère orale est très anxiogène, et rien qu’approcher sa langue d’un aliment peut suffire à déclencher un réflexe nauséeux.
L’idée de lécher un aliment, c’est d’en découvrir le goût, sans avoir encore à appréhender la texture. Bien entendu, on va commencer à la découvrir en passant sa langue sur la surface de l’aliment, mais on n’aura pas encore à mâcher - Croquer
Ou plutôt devrais-je dire planter ses dents. L’idée, encore une fois, est de découvrir progressivement la texture, de voir comment l’aliment se comporte quand on mord dedans, s’il y a du jus, des miettes, si c’est dur ou mou. On n’est toujours pas à l’étape de manger proprement dit, rien ne reste en bouche, rien n’est avalé, on est encore au stade de la découverte de l’aliment de manière très progressive - Goûter
On arrive enfin à l’étape finale, et je pense qu’ici, le plus important est le contexte. Ne jamais présenter un plat complet, sans autre option acceptable pour le néophobe à côté. Lui proposer un tout petit morceau (pour ma part, je commence par des morceaux minuscules, moins grand que l’ongle du petit doigt pour commencer, c’est beaucoup plus facile), dans une autre assiette que son repas habituel pour éviter que les aliments ne se touchent, prévoir une serviette en papier, ou une poubelle/évier/bassine pas loin pour s’il a besoin de cracher/vomir, lui expliquer que ce n’est pas grave s’il crache, que c’est déjà très bien de réussir à le mettre dans sa bouche et que c’est malgré tout une très grande victoire.
Une fois que cette première étape sera passée, on pourra agrandir la taille des morceaux, encore une fois de manière très progressive, et on pourra également augmenter les quantités au fur et à mesure.Il ne faut surtout pas dire « tiens ce soir on mange ça, tu goûtes », et ne proposer que ça. La pression sera beaucoup trop forte, et l’angoisse prendra le pas sur tout le reste, ne laissant aucune chance au nouvel aliment.
- Manger
Enfin, une fois toutes ces étapes passées avec succès et bien acceptées, on va pouvoir commencer à envisager d’intégrer ce nouvel aliment aux menus réguliers du néophobe.
Encore une fois, cela peut être parfois très progressif, parfois pas. J’ai accepté la pizza tout de suite, en revanche, cela fait 5 ans que je travaille sur le poulet, je commence enfin à manger des portions « normales » (= une cuisse presque entière), mais je suis toujours incapable d’accepter la texture du poulet seule en bouche, il faut toujours que dans la même bouchée je mette poulet + le féculent ou légume qui l’accompagne.
J’espère que toutes ces étapes pourront vous aider à accompagner votre enfant dans la découverte de nouveaux aliments. Ce n’est qu’un partage de ma propre expérience, je n’ai aucune formation médicale ou paramédicale, aucune qualification, je partage seulement ce qui a marché pour moi et m’a permis au fil des dernières années, de découvrir de nouveaux aliments.
Et vous, qu’est-ce qui marche pour vous ou votre enfant ?
Comment procédez-vous pour approcher de nouveaux aliments ?
Aussi, qu’est-ce qui vous décide à goûter ou non tel ou tel aliment ?
N’hésitez pas à partager vos techniques et/ou réussites dans les commentaires !
J’ai lu votre article avec intérêt, ayant une grande fille de 11 ans qui selon les critères, pourrait être neophobe. Les repas sont une angoisse non seulement pour elle mais aussi pour nous parents, qui nous sentons impuissants. Par « facilité », nous avons fini par capituler mais le régime viande/pàtes au ketchup ne peut pas durer indéfiniment. D’autant plus que manger peut être un acte tellement agréable, qu’il m’en est qu’elle ne puisse pas partager nos repas. Votre développement dans cet article, étape par étape est intéressant. Je vais en discuter avec elle pour voir si elle aurait envie de tenter l’aventure. Merci pour le partage!
Bonjour,
Quand vous dites ne pas partager vos repas, cela signifie que vous mangez ensemble mais des plats différents, ou qu’elle mange seule ? Si c’est le 2nd cas, la première chose à faire est de travailler sur l’acceptation « à distance » des aliments inconnus : qu’elle soit suffisemment en confiance avec son entourage (sa famille mais aussi son cercle social), pour savoir qu’elle pourra manger à côté d’aliments inconnus sans qu’on la force ni même qu’on lui propose de goûter ces aliments. Une fois cette étape passée, et si elle en manifeste l’envie, effectivement vous pourrez passer à l’étape supérieure.
Bon courage à vous deux
Marie
Nous mangeons ensemble, bien entendu! Le repas doit rester avant tout un espace d’échange pour chaque membre de la famille. Mais c’est vrai que je prépare des pâtes blanches et juste une viande pour ma fille. Pour vous donner une idée, mon mode alimentaire est de type Paléo donc beaucoup de légumes, des fruits, oléagineux, graines, viande. Je parviens tout de même à instaurer un goûter sain, qui sort de l’eternel goûter sucré (biscuit, crème au chocolat et j’en passe!). Elle est parvenue à réintroduire certains fruits et quelques oléagineux.
J’essaye de préparer une table qui donne visuellement envie de s’y asseoir.
La soupe a refait son entrée de manière timide. Vraiment, je pense que je devrais procéder par étapes comme vous le suggérez dans vos articles, je ressentirais peut être mieux l’évolution. Je pourrais même tenir un petit journal de bord avec elle, si elle est d’accord.
Merci pour votre réponse.
Article très intéressant, merci beaucoup. Je suis tombée dessus en faisant des recherches pour mon fils, et je le reconnais entièrement dans la description du néophobe (je dirais « sévère »). Il n’y a pas très longtemps, en lui demandant juste s’il connaissait le nom d’un aliment qui était dans mon assiette (il a 3 ans) il a montré beaucoup de dégoût et de crainte alors que je ne lui demandais pas de le goûter. A partir de là j’en suis justement venue à me dire qu’il fallait le familiariser très progressivement aux aliments par la connaissance (catégories, couleurs…), le toucher…pour débloquer un peu les choses. Je suis donc très contente de lire votre article qui me conforte entièrement en ce sens. Je pense donc faire des jeux à partir de cartes de nomenclature, puis de manipulation en dehors du contexte des repas (apprendre à compter les fruits, classer des aliments en bocaux par couleurs…) J’espère que cela améliorera les choses ! En attendant je vais poursuivre la lecture de votre site !