Si vous avez déjà parcouru les articles de ce blog, vous connaissez déjà probablement une partie de mon parcours. Pour ceux qui découvrent ce site, cela peut-être une bonne entrée en matière. Je vais profiter de cet article pour vous retracer tout mon parcours, et renvoyer vers les différents articles qui parlent de certaines étapes plus en détail.
Avant, j’étais difficile, compliquée.
Une chieuse, une vraie.
Chieuse au point de toujours refuser d’aller manger
chinois, japonais, indien, mexicain…
parce qu’il n’y aura rien que j’aime.
Chieuse au point de systématiquement réclamer un plat de pâtes
quand on va manger chez quelqu’un, parce qu’il n’y a jamais rien
de ce que je peux manger au menu.
Le genre de chieuse que les serveurs regardent toujours
de travers en demandant si je suis bien sûre de ne vouloir que ça,
quand je commande mon assiette de frites.
Et puis un jour, j’ai pu y mettre un nom.
Me coller une étiquette, me ranger dans une case,
avec plusieurs centaines d’autres personnes à travers le monde.
Des centaines.
Ce n’est rien, mais pour moi c’est énorme.
Aujourd’hui, je souffre de néophobie alimentaire.
Et je me soigne.
Voilà, ça, c’est moi. Je crois que ce texte, que j’avais écrit ici il y a quelques années, au tout début du blog, définit vraiment bien ce que j’ai été pendant des années.
Tout a commencé à mes 18 mois, je n’ai jamais fait le passage aux morceaux. En bouillie et purée, je mangeais de tout, ma mère était super contente et persuadée d’avoir une enfant facile, avec qui la nourriture ne serait pas un souci… Que nenni, ce fut un vrai cauchemar !
Pendant plus de 20 ans, je n’ai mangé qu’une liste très restreinte d’aliments, ne comprenant aucune viande ni poisson, aucun fruit à une exception près, et aucun légume à une exception près également :
- Pâtes au beurre — surtout pas de sauce malheureux !
- Riz, au beurre uniquement aussi
- Frites
- Pommes noisettes
- Pommes rissolées
- Oeufs à la coque (mais pas le jaune trop cuit dès qu’il devient dûr impossible d’y toucher)
- Chips natures — au sel
- Quelques gâteaux apéritifs natures
Monster munch, Curly, Monaco…
- Allumettes au fromage faites par ma maman (pâte brisée et gruyère en torsade, gratiné au four)
- Pain blanc
La mie bien sûr, mais aussi l’extérieur, je n’ai jamais aimé les aliments trop cuits
- Croissant, pain au chocolat, pain de mie (pas la croûte), pain au lait
- Yaourts sans morceaux
Essentiellement natures avec du sucre
Certains parfums de yaourts aromatisés et de petits suisses passaient aussi
- Quelques marques/sortes de gâteaux bien précis
Pim’s à l’orange, Kango à la fraise,
- Crêpe au sucre
- Gaufre au sucre
- Oasis orange
Petite, je n’aimais pas l’eau et je n’ai bu que ça pendant des années
- Jus d’orange sans pulpe
Et les deux exceptions mentionnées plus haut :
- Bananes
En faisant la grimace, mais comme c’était le seul fruit que je mangeais, ma mère n’a jamais lâché et je devais manger ma banane quotidienne !
- Soupe aux légumes verts faite maison par ma maman
Sans aucun morceau, très bien mixée après cuisson, puis encore mixée au moment de la réchauffer
Voilà, listé comme ça ça a l’air de faire pas mal de choses, mais en fait en vrai c’est vraiment rien du tout, et on peut résumer ça grossièrement à : riz pâtes frites et yaourts, je ne suis pas loin de la vérité avec ça.
J’ai vécu comme ça toute mon enfance, j’ai mangé été à la cantine pendant presque toute la maternelle et le primaire, j’avais toujours deux yaourts natures de côté de façon à être assuré que j’aurais quelque chose dans le ventre même s’il n’y avait rien que je mangeais au menu.
L’un de mes premiers souvenirs, c’est d’être la dernière à la cantine, de voir les copains jouer dans la cour dehors, et que la dame de la cantine essaye de me faire manger. Un cauchemar…
Et puis en CM1 la directrice de l’école a changé, la nouvelle a dit qu’il était hors de question que j’aie droit à des privilèges alors que tous les autres enfants doivent goûter à tout, et ma mère a dû me retirer de la cantine et rentrer tous les midis pour me faire à manger.
En CE1, je suis partie en voyage scolaire pour la première fois, et j’y suis partie tous les ans après ça. Ma mère et la maîtresse s’étaient organisées avant, et j’avais de la bouffe plein ma valise. Bretagne, Haute Normandie, classe verte en forêt, puis au collège Angleterre, Espagne, Belgique, puis au lycée re-Espagne et re-Angleterre, je les ai tous faits et je ne le regrette absolument pas, ce sont de merveilleux souvenirs !
Au collège, c’était chez ma grand-mère que je mangeais le midi, mais ne pas être à la cantine m’a coupée d’une grande partie de la vie sociale et mes années collèges ne se sont pas très bien passé pour moi, le moral n’était pas au mieux. Aujourd’hui, il existe des solutions qu’on ne connaissait pas à mon époque, comme de mettre en place un PAI, pour permettre à l’enfant d’apporter son propre déjeuner mais de pouvoir quand même manger à l’école ou au collège. Si c’était à refaire, je pense que je choisirai de manger à la cantine, car même si j’en garde de merveilleux souvenirs avec ma grand mère et une complicité que je n’aurais jamais eue sans ça, j’ai quand même vraiment souffert du manque de liens sociaux au collège.
Au lycée, il y avait, en plus de la cantine, une petite cafétéria à emporter qui vendait des sandwichs, mais surtout des chips et des yaourts. Là encore, comme à l’école, les dames de service me connaissaient bien, et m’en gardaient de côté pour que j’aie toujours de quoi me nourrir tous les jours. Pendant trois ans, je n’ai mangé que deux paquets de chips et un yaourt chaque midi. Je n’en suis pas morte, je ne suis pas devenue obèse, ni horriblement maigre, je n’ai jamais manqué de force (je subissais même les cours de sport comme les autres ahah), mais surtout je passais toutes mes pauses avec mes amis, et je garde un souvenir merveilleux de mes années lycée.
Alors, certes, je sais que la nourriture ne fait pas tout et que ce n’est pas l’unique facteur qui a joué sur mon sentiment vis à vis du collège et du lycée, mais je reste persuadée que ça joue beaucoup quand même dans les liens sociaux !
Un point important à noter, c’est que, enfant, je n’avais aucune envie de goûter de nouvelles choses, de manger d’autres aliments. Même si parfois je me laissais de ce que je mangeais — ça allait par phase, et parfois je ne mangeais plus certains aliments pendant des mois — à aucun moment, au fond de moi, je n’ai eu envie de manger « comme tout le monde ». La seule raison qui aurait pû me pousser à penser ça était cette envie D’ÊTRE comme tout le monde, de ne plus avoir à subir les jugements et regards extérieurs. Mais en soit, en parlant strictement de la nourriture, je n’en avais pas envie. Et je me suis souvent dit que si je vivais seule sur une île déserte — mais avec ma maman pour me faire à manger, une cuisine et un supermarché pas trop loin quand même, ou alors un arbre à frites et patates rondes — je vivrais tout à fait très bien toute ma vie de ne manger que ce que je mangeais à l’époque.
Devant un aliment nouveau, je me sentais paralysée, incapable du moindre mouvement. Et si alors on me parlait de devoir le goûter, panique à bord, larmes, gros drame en perspective. J’ai donc développé un talent certain pour l’évitement, accompagnée de ma complice de toujours ma maman, qui veillait à ce que les repas se passent toujours au mieux, que ce soit à la maison ou en extérieur.
A la fin de l’adolescence, certaines odeurs ont commencé à me plaire, voire même à me donner envie, comme la pizza, le poulet ou encore le melon. Mais même si l’envie commençait à poindre le bout de son nez, impossible pour moi de passer le pas de goûter, le fait même de porter l’aliment à ma bouche était tout simplement inimaginable.
Et puis, la vingtaine passée, j’ai commencé à me dire que je voulais des enfants, et la question de savoir comment élever des enfants pour qu’ils mangent de tout, quand nous même on n’en est pas capables, a commencé à me tarauder. C’est cette pensée qui a été le déclencheur de tout ce qui a suivi pendant les sept ou cinq dernières années.
Dans la clinique en bas de chez moi, il y avait une diététicienne. Tous les jours, je passais devant sa plaque, ça m’a travaillé un moment, je commençais à avoir envie de « ré-apprendre à manger » — c’est comme ça que je le voyais à l’époque. Un jour j’ai posé la question à mon médecin traitant, à qui j’avais rapidement expliqué la situation au début de la prise en charge. Il m’a dit que cela ne servirait à rien et que c’était une psy comportementaliste qu’il fallait que je voie. C’est comme ça que tout a commencé.
Mon premier suivi, mes premiers essais, et la machine était lancée. Même si ma thérapie cognitive et comportementale a été assez courte — six mois, j’ai dû l’interrompre car j’ai changé de ville à la fin de mes études —, j’en retire une meilleure compréhension et maîtrise de mes réactions d’angoisse. Je sais quand elles arrivent, et surtout comment me comporter — quoi faire et surtout quoi éviter — pour qu’elles passent au plus vite. En revanche, même si j’ai réussi à goûter quelques aliments, je n’ai réussi à en ajouter aucun à mon alimentation quotidienne.
Quelques mois plus tard, suite à un repas de famille qui ne s’est pas très bien passé — mon cousin me reprochait d’être un mauvais exemple pour ses enfants — un ami proche de la famille, qui me connaît depuis toute petite et qui assistait lui aussi au repas, a discuté de mes problèmes de nourriture avec ma maman. Il pensait que mon trouble alimentaire se rapprochait beaucoup des TOCs — troubles obsessionnels compulsifs — et que peut-être qu’un traitement similaire pourrait m’aider à progresser. Comme vous pouvez le voir, mes premiers suivis me sont un peu tombés dessus par hasard, sans vraiment de recherche de ma part ou de celle de mon entourage. Mais ils sont arrivés à un moment où j’étais, sinon demandeuse, en tout cas réceptive à ce genre de proposition.
Le traitement pour les TOCs, à base d’antidépresseurs à forte dose, n’a pas duré bien longtemps non plus, pour cause d’effets secondaires trop conséquents, mais j’ai pu grâce à ça me libérer de l’angoisse qui m’empêchait de m’approcher d’aliments inconnus, et goûter les aliments qui me faisaient envie depuis longtemps : le poulet, la pizza, le melon. J’ai aussi étendu les possibilités des aliments que je mangeais déjà, grâce au food chaining, en combinant les aliments que je connaissais ou variant les formes de préparation : croques monsieur sans jambon, gratins de pâtes et pommes de terre, et patates sous toutes ses formes. Grâce à ces premiers progrès, j’ai pu avoir une vie sociale — surtout les repas — bien plus simple — manger de la pizza, des burgers de poulet et des nuggets, croyez moi ça simplifie les commandes au resto ! — et aussi diversifier vraiment mes repas. Même si la base d’aliments bruts restait singulièrement la même, je pouvais varier et n’avais plus l’impression de manger toujours la même chose.
Manger un burger entre amis pour un anniversaire,
une pizza avec des collègues ou une raclette au nouvel an,
ça n’a pas de prix ! Et le tout avec le sourire s’vous-plait !
Au moment où j’ai commencé à faire mes premiers progrès, j’ai ouvert ce blog, pour y raconter mon parcours, mais surtout pour montrer à d’autres personnes dans mon cas qu’il était possible de progresser ! Car avant tout ça, ça me semblait tellement impossible !
J’ai ensuite testé l’hypnose avec Antoine Garnier, sans grands résultats visibles ou quantifiables — même s’il est probable que mon inconscient a travaillé tout ça. Cet hypnothérapeute m’avait été recommandé par Félix Economakis, le grand gourou soigneur magique des néophobes en 1 journée à Londres. Felix était membre du groupe facebook anglophone Living with SED Selective Eating Disorder, et c’est comme ça que j’ai eu vent de ses soit-disant prouesses.
Encore aujourd’hui, et d’autant plus avec mes dernières découvertes sur la dysoralité, je reste convaincue que même s’il réussit peut-être à faire disparaître l’angoisse de goûter, il est impossible de changer radicalement son régime alimentaire du jour au lendemain, que ce soit l’habituation aux nouveaux goûts et nouvelles textures, et surtout la prise de nouvelles habitudes, ça prend du temps tout ça !
Sur le groupe Facebook anglophone, et à travers mon blog, j’ai rencontré Bérénice et Angélique, deux néophobes adultes, qui n’étaient pas très à l’aise avec l’anglais, alors on a créé un groupe francophone sur le même sujet : Néophobie alimentaire, ou trouble de l’alimentation sélective. En à peine cinq ans, on a déjà plus de mille membres sur le groupe. Moi qui pensais être la seule avec ce souci !
Grâce à une maman membre du groupe facebook, j’ai découvert le SDS — Syndrome de Dysoralité Sensorielle, ainsi que le suivi par une orthophoniste, avec massages de désensibilisation dans la bouche. J’ai été suivie pendant un peu plus de six mois par Cécile Chapuis, puis j’ai abandonné, découragée par le manque de progrès.
Grâce à la visibilité du blog — il y a très peu de sites ou blogs qui traitent de ce sujet en français —, j’ai été contactée plusieurs fois par des journalistes pour participer à des émissions de télé. Certaines n’étaient pas en adéquation avec ce que je veux faire passer comme message. Je ne veux pas passer pour une « cassos » capricieuse ou extravagante, je veux vraiment qu’on prenne cette maladie au sérieux et qu’on arrête de culpabiliser les mamans. J’ai donc refusé certaines d’entres elles. Puis j’ai été contactée par France 2 pour « Toute une histoire ». Après de nombreux échanges téléphoniques, la journaliste a fini par déclarer que j’étais « trop guérie » et a donc refusé que je participe à l’émission, mais une autre maman du groupe y a été pour témoigner pour son fils.
Enfin, M6 m’a contactée il y a un peu plus d’un an, pour l’émission E=M6 « TOCs, phobies et troubles alimentaires, comment s’en débarrasser ? », qui a été diffusée sur M6 le 21 juin 2016. Même si c’est très court et que je n’ai pas dit la moitié de ce que j’aurais voulu dire à la télé, même si tout n’a pas été retranscrit exactement comme je l’aurais voulu, ça a permis de mettre des mots sur notre trouble, pour beaucoup de personnes qui n’auraient probablement jamais cherché plus loin que « je suis difficile », et pour moi c’est déjà énorme.
L’émission a également été l’occasion de rencontrer une orthophoniste qui travaillait différemment, sans massages mais avec une approche progressive des aliments, par le toucher, puis les sentir, les lécher, les apprivoiser en quelques sortes avant de les goûter.
J’ai donc commencé un nouveau suivi avec une autre orthophoniste, Chloé Loiseau, et on fait des mises en contact avec de nouveaux aliments toutes les semaines. Pomme, poire, framboise, citron, ananas, pêche, cerise. Tomate, sandwich jambon fromage, salade de pâtes, salade de riz, quiche aux légumes, soupe froide… Même si tout n’a pas été un succès — il y a certains aliments que je n’ai pas encore réussi à intégrer à mon alimentation quotidienne, et même dont je serai incapable de manger un repas entier — j’ai quand même réussi à tout goûter, à tout avaler même, et pas une fois je n’ai vomi. Je dois mâchouiller un bâtonnet de plastique deux fois par jour pour désensibiliser mon réflexe nauséeux, et elle me fait faire des activités de diversion pour pas que je me focalise trop sur ce que je goûte. Et ça marche !
Ces derniers mois, j’ai fait des progrès de géant, je mange maintenant quelques légumes, et pas mal de fruits. C’est vraiment un cercle vertueux, qui donne des ailes et pousse à essayer toujours plus de choses nouvelles ! Malheureusement, Chloé déménage (à Bordeaux pour ceux qui seraient dans la région), donc ce suivi va s’arrêter après 7 mois, mais je sais qu’elle a initié des choses qui vont continuer à progresser sans aucun doute.
Voilà où j’en suis aujourd’hui, ce sont des efforts quotidiens, pour continuer à manger les aliments nouveaux, qui même si j’en apprécie le goût, sont toujours un peu difficiles niveau texture, pour prendre de nouvelles habitudes alimentaires, pour ne pas tomber dans la facilité des repas « safe » et simples… Mais j’ai quand même vraiment beaucoup progressé, c’est le jour et la nuit par rapport à ce que je mangeais il n’y a que quelques années…
Aujourd’hui, je mange des protéines (jambon cru, poulet ou oeuf) tous les jours, je mange de plus en plus de fruits, et je commence les légumes ! Petit à petit, je réduis le nombre de fois par semaine où je mange des féculents (sauf les patates mais j’adore ça et ça ne me fait pas trop mal au ventre, contrairement aux pâtes, alors bon merde hein…) et petit à petit je m’approche d’une alimentation variée et qui me plait !