Marie est néophobe depuis toute petite. Française expatriée aux Etats-Unis depuis environ 5 ans, elle a la chance de suivre la thérapie du centre de l’Université de Duke, en Caroline du Nord, spécialisé dans la prise en soin du Trouble de l’Oralité Alimentaire (TOA). Je lui laisse la parole pour vous raconter son histoire et son parcours de soin à Duke.
[Marie] Ce centre a deux gros avantages : non seulement ils semblent vraiment comprendre de quoi on souffre et toutes les problématiques associées, mais en plus ils traitent à la fois les adultes et les enfants souffrant de néophobie. C’est le seul centre aux US qui propose de soigner les adultes. L’équipe est composé d’un large panel de professionnels de santé en plus des psychologues. Ils proposent également des activités pendant les séances qui sortent un peu du cadre d’une thérapie comme on la connaît : des expositions au restaurant, un accompagnement au supermarché… Le tout est fait pour cerner au mieux ce qui se passe dans la tête de la personne qui souffre du trouble, afin de pouvoir l’aider et l’accompagner au mieux.
Une équipe de psy et autres médecins qui la comprennent vraiment
La psy m’a tout de suite comprise et a utilisé le même vocabulaire qu’on utilise dans nos groupes facebook et forums de soutien. C’est fabuleux de parler comme ça a un professionnel de santé et qu’en retour elle me comprenne aussi bien.
Elle va discuter avec son équipe de l’approche à suivre pour moi, mais déjà les quelques propositions qu’elle m’a exposées m’ont paru très réalistes et tiennent en compte la difficulté qu’on a avec la nourriture. Genre se pousser à manger un peu plus même si on commence à sentir de l’anxiété (tout en essayant de baisser cette anxiété), mais si on n’arrive pas à baisser l’anxiété, alors ne pas hésiter à s’arrêter là, et finir avec une safe food (nourriture acceptée) pour ne pas créer un mauvais souvenir pour le futur. Aussi elle tient compte de l’hyper-sensibilité qu’on a avec nos sens, à la fois due à notre physiologie mais aussi due à notre état émotionnel/anxiété pendant les repas.
Vraiment ce qui m’a plu c’est qu’elle a l’air de vouloir travailler avec la façon dont je suis plutôt que d’essayer de me changer totalement. Par exemple d’après ce que j’ai compris, elle veut que j’apprenne à gérer mes sens et à amener leur sensibilité plus bas, au lieu de juste arrêter de penser à ce que je ressens et de me focaliser sur autre chose (ce qui est ce que ma psy d’avant essayait de me faire faire, mais c’est super dur de ne pas prêter attention à ces sens quand ils sont si sensibles).
Nancy Zucker, la responsable du programme était là aussi. J’étais contente de la voir parce que j’avais entendu parler d’elle.
Elle m’a expliqué sa théorie vis-à-vis de cette maladie et comment elle la perçoit. Elle était juste sur toute la ligne, et sa théorie a du sens. Elle pense que notre connexion entre nos tripes et notre cerveau est comme une grosse autoroute au lieu d’être une petite route de campagne comme chez les gens normaux. Du coup la moindre chose que nos tripes ressentent sont directement communiquées à notre cerveau.
Elle a pris l’exemple de quand quelqu’un rencontre quelqu’un d’autre pour la première fois et a tout de suite le sentiment qu’il ne serait pas bon de faire confiance à cette personne. Même si d’autres personnes lui disent « mais qu’est-ce que tu en sais, tu ne l’as jamais rencontre auparavant, donc comment peux-tu savoir que tu ne peux pas lui faire confiance ? » Dans ce cas-là, il est juste difficile de mettre des mots sur le pourquoi du comment, c’est juste une profonde intuition. Et c’est la même chose pour nous avec la nourriture. Nos tripes nous disent qu’on ne va pas aimer, ou que ça va nous rendre malade, ou autre, et même si on sait rationnellement qu’il faudrait quand même qu’on essaie, c’est très très difficile de ne pas tenir compte de ce que nos tripes nous crient.
Elle a aussi expliqué que dans une thérapie normale, généralement le thérapeute se focalise sur l’anxiété/état émotionnel lors de la prise de repas et essaye de l’amener au plus bas, mais ne prends jamais (ou rarement) en compte les sensations. Alors qu’avec Duke, ils veulent se focaliser sur les 2, vu que pour nous notre sensibilité sensorielle est plus élevée que la normale. Donc d’après ce que j’ai compris, durant les expositions qu’on va faire, on va analyser les sensations que j’aurais, en même temps que l’anxiété et l’état émotionnel dans lequel je serai.
Leur système d’exposition est aussi différent de ce qui peut se passer lors d’une exposition « normale ». C’est-à-dire que chez Duke ils commencent à exposer la personne à une bouchée minuscule et petit à petit augmentent la taille de la bouchée jusqu’à atteindre une bouchée normale. Ils exposent aussi la personne à quelque chose au moins 20 fois avant de demander à la personne de mettre cette nourriture dans une catégorie : soit safe food qu’on peut incorporer dans l’alimentation de tous les jours, soit safe food qu’on ne choisirait pas forcement de nous-même mais qu’on pourrait manger au resto ou chez d’autres personnes, soit une nourriture qui ne nous attire tout simplement pas.
Elle m’a aussi expliqué qu’ils utilisent beaucoup de trucs ludiques genre jeux etc. Aussi, dans mon cas tout du moins, on ne va jamais lors d’une exposition complètement remplacer le repas avec juste la nourriture d’exposition. On va toujours garder une nourriture safe pour faire la majorité du repas. Dans mon cas c’est à la fois pour que je ne perde pas de poids et aussi pour que je ne me mette pas trop la pression.
Elle m’a dit qu’à peu près un quart des patients chez eux ayant une néophobie alimentaire sont des adultes
En tout cas ça a encore plus confirmé mon sentiment qu’ils savent ce qu’ils font et qu’ils comprennent vraiment la maladie.
Ma psy pense que ça serait bon pour moi de passer plus de temps avec des aliments, même si je n’arrive pas à les cuisiner, ou même faire des expériences culinaires même si je les loupe et ne peux pas les manger (en ayant autre chose à manger bien sûr), en gros « jouer » un peu avec, les toucher, me familiariser avec.
Quand je lui ai raconté « l’aventure » du ramboutan, elle a aussi compris que je fais beaucoup allusion aux expériences passées. Dans ce cas, quand j’ai vu l’intérieur du fruit, ça m’a fait penser au litchi et comme je savais que j’aimais le litchi, j’étais disposée à gouter le ramboutan. Alors que si ça m’avait fait penser à un fruit que je n’aime pas, je n’aurais pas gouté le ramboutan. Donc elle a noté qu’il va falloir qu’on fasse attention à ça, que ça peut beaucoup aider dans certains cas, mais aussi être un gros frein dans d’autres cas.
J’ai réalisé qu’avec ma psy d’avant et tous les professionnels de santé d’avant, je ressentais le besoin qu’il fallait que je leur fasse comprendre d’abord à quel point c’était difficile pour moi pour qu’ils me prennent au sérieux, et du coup ça me faisait focaliser sur les côtes négatifs de la chose. Maintenant avec Duke, je sais qu’ils savent que c’est très très difficile, du coup je ne ressens plus ce besoin de leur dire à quel point c’est difficile, je peux mieux me focaliser sur comment rendre les choses plus faciles.
J’ai aussi eu le médecin généraliste du programme qui m’a prescrite du Clonazepam, un benzodiazépine pour m’aider dans les moments très difficiles. Je n’ai pas besoin de le prendre tous les jours. C’est censé avoir un effet rapide (agit dans les 30 min et dure 8 heures max), donc je le prends juste quand c’est nécessaire. Elle m’a prescrite la dose minimale.
Suite à la “découverte” de la dysoralité sensorielle grâce à une maman du forum dont le fils a été diagnostiqué de cette maladie, j’en ai parlé avec ma psy et lui ai demandé s’il serait possible de regarder de ce côté là. Le Dr. Nancy Zucker (la responsable du programme) va programmer une évaluation sensorielle avec ce qui correspondrait à une orthophoniste en France. Ils vont faire un bilan de mes capacités sensorielles et motrices. Il me tarde de savoir ce que ça va donner!
Des exercices en séance, et des « devoir maison » pour réussir à mieux cerner leurs patients et leurs situations
On a d’abord passé en revue ce que je mange durant la semaine ces derniers temps. C’est nécessaire pour partir d’une base. Mais ce n’était pas forcément plaisant de devoir faire face encore une fois au fait que mon alimentation est si restreinte et qu’en plus je ne prends presque aucun plaisir à manger ces choses.
Après, on a essayé de remplir un tableau à double entrée avec les choses que je préfère. Pour les colonnes c’était les goûts: sucré, salé, savoureux (genre viande), acide/vinaigre. Pour les lignes c’était les textures: liquide, crémeux, craquant, mou/collant, contenant des morceaux. Cette partie était intéressante, mais encore, ça me rappelait aussi à quel point je suis difficile avec la nourriture et à quel point la nourriture a besoin d’être d’une certaine manière, très spécifique.
Devoirs maison maintenant: écrire ce que je mange chaque jour, dans quelle circonstance, mon taux d’appétit avant/pendant et après, mes pensées, etc.
Devoir maison: décrire ce que mes sens ressentent pendant que je mange un snack (pour commencer) tout en restant neutre: pas de jugement, pas de « j’aime » ou « j’aime pas », faut rester descriptive, genre c’est craquant, c’est sec, ça sent comme ça, ça a cet aspect, cette couleur, etc. Cet exercice va leur permettre de comprendre mon niveau de détection avec mes différents sens. Ça va aussi m’aider moi à réaliser peut être des éléments d’un aliment que je pourrais apprécier mais que jusque-là je ne sentais pas vraiment parce que j’étais trop focalisée sur un cote négatif de cet aliment.
Je dois aussi noter pour quelques repas mon niveau d’appétit avant et après le repas pour déterminer s’il pourrait y avoir un lien entre mon niveau de faim et mon plaisir à manger. Nancy a une hypothèse que quand on est à un certain niveau de faim, ou ça commence à faire « mal » d’avoir faim, ben que du coup on n’est pas en bonne disposition pour apprécier ce qu’on mange.
Des exercices adaptés à chaque situation
La semaine prochaine, on va faire la séance dans un magasin alimentaire (mais ne rien acheter, juste regarder). Parce que c’est difficile de penser à tous les aliments possibles quand on est juste assis dans un bureau, et donc c’est difficile pour ma psy de voir vraiment un lien entre toutes les choses que j’aime et celles que je n’aime pas. Donc aller dans un magasin ensemble et passer en revue ce qu’ils ont et voir quelle est ma réaction va l’aider à mieux me comprendre. Elle espère aussi que ça pourrait m’aider à avoir des surprises et à réaliser que je serais en fait vachement intéressée à essayer tel truc dont je n’avais pas vraiment prêté attention auparavant. J’ai aussi proposé qu’on fasse cet exercice plusieurs fois (pas d’affilé mais dans quelques semaines) et qu’une fois je fasse vraiment les courses, pour qu’elle puisse m’aider à surmonter l’achat des courses, vu que c’est un vrai calvaire pour moi en ce moment.
Je trouve ça vraiment bien cette possibilité/flexibilité de faire la séance dans d’autres endroits que juste son bureau pour travailler sur différents aspects.
Elle a aussi dit qu’on pourrait faire certaines expositions au resto.
La semaine dernière, nous sommes donc allées au magasin avec ma psy. On n’a eu le temps que de faire les produits frais, c’est-à-dire les fruits et légumes et les viandes et poissons frais. Je lui ai décrit ce que je ressentais pour chacun des aliments en face de nous. Bilan de cette petite escapade, elle trouve que j’ai pas mal de curiosité vis-à-vis des aliments qu’on a vus et trouve que c’est plutôt bien. Elle a aussi remarqué qu’il y a pas mal d’aliments que j’aime mais que je ne mange pas chez moi (je les mange au resto ou chez les autres).
Regarder une émission de cuisine ensemble et de lui dire ce que j’en pense : si je trouve ça difficile à faire, pour quelle raison, etc. Comme ça elle aura une meilleure compréhension de ce que ça représente pour moi de cuisiner, voir s’il y a quelque chose en particulier qui me bloque.
On a aussi commencé une petite exposition. J’avais amené 2 types de chips pour les manger/gouter pendant la séance et décrire ce que je ressens, voit, etc. de manière objective. J’avais amené des chips pita (je sais déjà que je les aime bien) et des chips de patate soufflée (nouveau pour moi, même si j’ai déjà mangé des chips comme ça dans le passé, mais pas de cette marque-là). On a commencé par les chips pita, ça faisait bizarre de décrire de manière objective et d’essayer de donner le plus de détails possible, mais elle a rendu l’exercice plus facile en me disant d’imaginer que j’explique ce que c’est à quelqu’un qui n’a jamais manger de chips pita de sa vie, et donc de dire que j’aime le goût ou pas ne va pas aider cette personne. On est passé ensuite aux chips de patate soufflée, déjà elles ne ressemblaient pas à l’image sur le paquet, puis au goût, ça n’avait pas vraiment le goût de patate, comme un goût parfumé, et elles étaient plus salées que les pitas chips. Mais bon, j’ai décrit tout ça de manière objective. A la fin, elle m’a demandé à quel point je serais prête à les manger par moi-même, sur une échelle de 0 a 10, 10 étant aucun problème. J’ai noté les chips pita à 10, et les autres chips à 8, parce que même si l’aspect et le gout était un peu décevants, je pouvais quand même les manger.
Pour la prochaine exposition qu’on fera ensemble, elle ne me demandera pas de classifier à quel point j’aime l’aliment ou non, elle me demandera à quel point c’est facile ou difficile de le manger. Et après plusieurs expositions du même aliment, elle me demandera à ce moment si je l’aime ou pas.
Merci beaucoup à Marie pour son témoignage, son expérience nous donne l’espoir qu’un jour on aura aussi ce genre de centre spécialisé en France.
Bonjour,
Quel bonheur de découvrir ce blog et d’enfin comprendre ce dont je souffre, tout comme de constater que je ne suis pas seule. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir vu des psys….
J’ai 53 ans et j’ai cessé de m’alimenter « normalement » lorsque j’avais 3 ou 4 ans. Tout ce que je sais c’est que nous étions en vacances dans le midi, que mes parents se sont absentés une journée ( ou peut-être moins ) et que c’est une jeune fille qui me gardait. A ce moment-là je mangeais de tout. Quand ils sont rentrés, je ne buvais plus et ne mangeais plus et ai dû être hospitalisée.
Je n’ai JAMAIS repris une alimentation normale. A 12 ans je pesais 27 kilos et j’étais nourrie par piqûres. Je n’ai aucun souvenir de ce qui a pu déclencher ce trouble.
Je ne mange aucun légume. J’arrive à manger des haricots verts mais seulement les « cassegrains extra fins » et en les faisant un peu griller; Je peux aussi manger des carottes, mais seulement crues et comme les lapins. Je ne mange pas de purée mais j’adore en étaler une très fine couche dans un plat et la faire gratiner. Je suis totalement dégoûtée lorsque je vois du pâté, des rillettes, des crudités ( beurk ). Si je touche malencontreusement ces aliments il faut que je me rince les mains, et si de la salade est servie avec mon plat je laisse de côté ce qui l’aura touché. Je ne mange pas de sauce, pas de rôti, pas de viande froide, pas de charcuterie. Je mange des frites, des pommes de terre sautées bien grillées, mais pas de purée ni de patates à l’eau. En revanche je mange des pâtes ( blanches avec du fromage, gratinées à la béchamel, et bolonaise mais seulement celles que JE fais ).
Lorsque j’avais 7 ans, nous avons déménagé dans le nord et ma mère a tenté de m’inscrire à la cantine scolaire. Je me souviens que je passais toute mon après-midi devant mon assiette au lieu d’aller en classe ( résultat, moi qui avais adoré l’école en CP, j’ai perdu toute confiance en moi et suis devenue mauvaise élève ). Un jour, j’ai réussi à me faufiler au milieu de tous ceux qui rentraient manger chez eux, et je me suis perdue en ville, ma mère m’a retirée de la cantine. Ce que j’avais oublié et que ma maman m’a raconté c’est que durant cette période, elle me faisait « mes petits plats préférés » le soir et que je n’y touchais pas. Je me souviens aussi d’un docteur qui m’a fixée de tout près en faisant les gros yeux et en me disant : « si tu continues de ne pas manger on va te mettre à l’hôpital », j’avais 9 ans, je me suis enfuie au fond du jardin, dans un arbre dont ma mère a eu un mal fou à me déloger ( après avoir fichu le toubib dehors ). C’était un enfer…
Et lorsque je me suis mise en ménage avec mon premier compagnon, dont la mère me disait que j’étais folle et mal élevée, c’était vraiment dur.
Aujourd’hui, mon compagnon comprend tout à fait ce que je vis, sa maman aussi, mais c’est toujours une grande angoisse lorsque je vais chez elle car je sais que ça complique les choses, et vis à vis des amis, je suis toujours très mal à l’aise de devoir toujours expliquer ce dont je souffre et de leur compliquer les choses lorsque nous allons chez eux. J’essaie toujours d’éviter les invitations à manger, j’essaie de faire en sorte qu’on aille plutôt au restaurant quitte à les inviter et me ruiner 🙂
Voilà mon histoire,
Je vous remercie de m’avoir lue et je vous remercie d’exister, je me sens moins seule…
Amicalement,
Mona.