Léa, néophobe « à peu près guérie » – Témoignage de Léa, néophobe de 23 ans

Léa fait partie du groupe Facebook Néophobie alimentaire, et quand elle s’est présentée, j’ai tout de suite eu envie qu’elle partage son expérience sur le blog.

Je vais être honnête avec vous, des cas de néophobie où l’alimentation s’élargit autant ne sont pas si courants sur le groupe. Mais il ne faut pas oublier que ça arrive, et un peu de positif de temps en temps, ça ne fait pas de mal !

/!\ Ce post est d’abord à l’attention des néophobes adolescents et adultes recherchant un témoignage «positif» d’une personne se considérant comme à peu près «guérie». /!\

Temps de lecture estimé : long. Très long.

Bonjour à toutes et à tous !

Je me présente : je m’appelle Léa, j’ai 23 ans et demi et je suis néophobe depuis aussi loin que je me souvienne (depuis l’âge de 2 ans d’après ma môman). Je précise d’ores et déjà que je ne souffre pas outre mesure du syndrôme de dysoralité sensorielle. Je suis dégoutée par les odeurs des supermarchés, des cantines de médiocre qualité, de kebabs et de certains aliments mais je n’ai pas un odorat ni un goût surdéveloppé qui ferait de ma vie un enfer.

Je précise également que mon grand-père maternel souffre aussi de néophobie (il refuse catégoriquement de goûter ce qu’il ne connait pas) et/ou de sélectivité alimentaire (il ne mange aucun aliment blanc, par exemple). Ma mère est quant à elle très sensible aux odeurs et sans être véritablement néophobe, elle est assez « difficile » concernant certains aliments.

Aujourd’hui, je me considère comme à peu près «guérie» de ma néophobie ou en tout cas, en bonne voie de «guérison». Ce que je veux dire par là, c’est que mon rapport à la nourriture ne me cause (quasiment) plus de soucis au quotidien.
Bien sûr, beaucoup de questions sur la néophobie/sélectivité alimentaire me turlupinent encore. Je me pose aussi encore quelques questions sur mon rapport aux autres en lien avec la nourriture : Est-ce-que je peux parler de mon rapport particulier à la nourriture à untel/untelle ? Comment rendre compte de mon ressenti aux autres ? Comment faire respecter et entendre aux autres qu’il s’agit d’une incapacité de ma part et non d’un choix ? Comment exprimer à quel point cette incapacité fût une souffrance pour moi étant petite et continue à l’être un petit peu même si globalement je m’en bats plus ou moins les steaks maintenant ? Comment leur expliquer que non, je ne suis pas «chiante» sur la bouffe mais qu’au contraire, je suis la première «victime» de ce rapport chelou à la bouffe ? Comment leur faire prendre conscience des énooooormes progrès que j’ai fait et de tous les efforts et le travail sur moi que ça m’a demandé ?
Bref.

A l’heure actuelle, je peux manger dans quasiment n’importe quel restaurant que l’on me propose (tous sauf ceux qui ne proposent absolument aucun plat végétarien (ce qui devient rare à Paris et soit dit en passant, je bénie les végan ! Ma vie est devenue bien plus simple grâce à eux.). Cela me simplifie grandement la vie et les rapports sociaux ! Quasiment plus personne ne remarque que j’ai un problème bizarre avec la bouffe (ou alors on me confond avec une végétarienne), je n’ai (quasiment) plus peur de changer d’environnement et de ne rien trouver à manger, j’aborde à présent la plupart de la nourriture avec un enthousiasme certes modéré mais bien réel, et il m’arrive parfois d’avoir envie/de désirer manger tel aliment plutôt qu’un autre (auparavant, cela ne m’arrivait jamais de me dire : «Tiens, dis donc, j’aimerais bien du fromage fondu !»).

Jusqu’à mes 17-18 ans, je ne me mangeais QUE des féculents (toute la gamme, je pense), 3 yaourts de marques bien précises (Danette vanille-caramel, Laitière vanille en grand pot, Dany au chocolat), quelques fruits et légumes (carottes crues, haricots verts crus, radis, pommes, poires, clémentines) et c’est tout. 0 viande (excepté le chorizo cuit), 0 poisson, 0 fruits de mer, 0 dessert, 0 fromage. Impossible de toucher, de sentir ou d’avaler ces trucs (ça me rappelle qu’une fois, on m’a mis des morceaux de viande de force dans la bouche, j’ai mâché pendant 2h sans réussir à déglutir, tout en culpabilisant de ne pas y arriver et j’ai dû finir par cracher mes morceaux de viande dans la corbeille de ma classe de CP, devant tout le monde #minitrauma ). Et j’ai bu mon chocolat chaud dans mon biberon jusqu’à mes 7-8 ans parce que je refusais de le boire dans un bol (ça n’avait pas le même goût selon moi). Vers mes 7-8 ans, plus de biberon, plus de Nesquik.

Le point de départ de ce changement se trouve cinq ans plus tôt avec l’introduction dans mon alimentation de la pizza Margarita et avec elle, la tomate (groooosse révolution) ainsi que plus de fruits (je les mange tous maintenant). J’ai aussi commencé à manger des glaces et des Danettes goût autre que vanille (pistache, noisette, coco…) mais sans réussir à tenter celles au chocolat (je bute toujours sur la crème de chocolat actuellement) et des pizzas végétariennes. Tout cela s’est fait treees progressivement, pendant quatre ans.

J’ai ensuite eu une deuxième phase, qui a commencé il y a tout juste un an, en juin dernier. Le processus de « guérison » était déjà enclenché mais cela n’allait pas assez vite à mon goût. J’ai donc décidé de me donner un coup de boost et je suis allée voir une personne spécialisée dans la diététique (je voulais apprendre à «bien» manger) et les troubles du comportement alimentaire. Elle ne connaissait pas la néophobie mais elle a été très compréhensive et m’a aidé à passer la vitesse supérieure (et pas qu’un peu) ! Depuis maintenant plusieurs mois, je mange ainsi quasiment tous les légumes (sauf les haricots verts cuits, beurk beurk beurk) ou les ai goûtés au moins une fois. Je peux aussi manger des yaourts autres que mes 3 marques favorites s’il n’y a rien d’autre et je mange quelques desserts (ceux qui ne sont pas crémeux et les tartes) !
La plus grosse révolution à été le fromage fondu (j’ai découvert le plaisir de manger une énorme raclette, ça n’a pas de prix *.*) ! Maintenant j’adoooore ça ! Pour le fromage non fondu, normal, j’ai encore beaucoup de réserves. Il faut que je sois vraiment dans un très bon jour pour me lancer. Je mange aussi des fruits de mer (crevettes, moules et même poulpes à la gallega ou frits!).
Pour ce qui est de la viande, ça reste assez compliqué. Je mange un peu de charcuterie et de porc sous format saucisse et un tout petit peu de poulet (par exemple sous format « poulet au caramel » au restaurant chinois). Le poisson reste le pire aliment pour moi. Il y a quelques mois, j’ai goûté le saumon (c’est rose, c’est joli) et ça m’a plu mais pour tout le reste, je n’ai absolument pas du tout envie d’y toucher. Cela me dégoute encore absolument : j’ai un gros rejet de tout ce qui rapporte à la mort et quand la viande ou le poisson ne sont pas modifiés (c’est-à-dire mis sous une forme différente comme des nuggets, par exemple) je ne vois pas de la nourriture mais une carcasse. Et de toute façon, je ne vois pas vraiment l’intérêt de manger des animaux (l’élevage pollue énormément). A ma répulsion irrationnelle vient s’ajouter une répulsion rationnelle, je pense donc ne jamais devenir une grande consommatrice de viande.

Également, je suis à présent capable de faire la vaisselle des autres en cas de force majeure (un air de dégoût profond ne quittera cependant jamais mon visage). Et dans les bons jours, je suis également capable de mettre spontanément les assiettes et les couverts sales dans le lave-vaisselle (ça me dégoûte toujours beaucoup mais j’arrive maintenant à dépasser ce dégoût).

Finalement, je dirais qu’aujourd’hui je souffre toujours un peu de sélectivité alimentaire mais plus de néophobie : je n’ai pas/plus peur de goûter quelque chose de nouveau (au contraire, j’ai même très envie de goûter ce que je ne connais pas) cependant il y a encore beaucoup de produits alimentaires que mon cerveau ne considère absolument pas comme des aliments et il existe toujours des textures qui me dégoûtent (notamment tout ce qui est très crémeux).

Mais comment tous ces changements se sont-ils donc produits ?, vous demandez-vous certainement. Par quel miracle tripler sa gamme d’aliments ingérables ? Par quel truchement passer d’une alimentation subie à une alimentation choisie ? En somme, par quelle opération divine reprendre le contrôle de son alimentation ?
Et bien sans plus attendre, je vais vous le dire :
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Je ne sais pas ! Ha ha ha ha !
Désolée.

Plus sérieusement, j’ai quelques pistes de réflexion, quelques indices… Mais ce qui vaut pour moi ne vaut pas forcément pour tout le monde. Je ne me risquerai donc pas à faire des généralisations douteuses. Je peux simplement témoigner de la façon dont cela s’est passé pour moi.

D’abord, j’ai remarqué qu’il m’est beaucoup plus facile de goûter un aliment lorsque je suis en petit comité, en présence d’une personne en laquelle j’ai la confiance ABSOLUE qu’elle ne me jugera pas. Pour exemple, j’ai goûté ma première pizza lors de l’anniversaire de ma meilleure amie. Elle m’a rassurée sur le fait qu’il n’y avait pas que très peu d’ingrédients dans la pizza Margarita, seulement de la pâte et un peu de fromage et de tomate, qu’elle avait confiance dans le fait que j’allais aimer et m’a montré la poubelle juste à côté de nous en me disant que ce n’était pas grave si je recrachais ou même si je refusais finalement de goûter. Elle m’a laissé 1) une porte de sortie et 2) son opinion de moi ne dépendait absolument pas de ma capacité ou non à goûter. Je suis certaine que ces éléments ont été CAPITAUX.
Il me faut donc un environnement de confiance et/ou un environnement où personne n’a d’a priori sur mon rapport à la nourriture. Par exemple, si je mange avec plusieurs personnes que je ne connais pas, ça me permet de goûter un aliment incognito. Mais, ça, c’est venu dans un second temps, quand ma gamme d’aliments a commencé à s’élargir un peu et que j’ai pu fréquenter les restaurants plus facilement.

Bref, je dirais qu’il faut absolument un environnement où on se sent totalement safe, où il n’y a absolument aucune pression sur la bouffe. Mais si un excellent environnement est nécessaire, cela n’est pas encore suffisant.

Le cœur de la solution, qui est aussi le cœur du problème, c’est nous (en tout cas, ce fût moi-même). Dis comme ça, je sais que ça fait très shaman bisounours récitant un mantra afin d’ouvrir son chakra des sphincters mais je m’explique : avant, j’étais complexée, je n’étais pas du tout à l’aise avec moi-même, très peu sûre de moi, timide, etc. Mais l’entrée à l’université m’a menée à tenter de nouvelles expériences (sorties, consommation de diverses substances plus ou moins licites, rencontres de nouvelles personnes très différentes de moi et de mon milieu social, premiers véritables émois amoureux, également un gros échec scolaire alors que j’ai toujours été excellente à l’école et qui m’a mené à une énorme remise en question (et une bonne dépression au passage), etc). J’en étais même venue à rechercher les nouvelles expériences pour elles-mêmes (avec une dimension un peu malsaine, je dois l’admettre).
Tout cela, toutes ces expériences bonnes et mauvaises m’ont énormément changée.

Si je parle de tout cela, c’est parce que c’est à cette même période que j’ai commencé à goûter et à introduire de nouveaux aliments dans mon alimentation, petit à petit, de temps en temps, quand je me sentais disposée à le faire et sans que j’y prête très attention, finalement.
En fait, le fait de vivre et de voir beaucoup de choses nouvelles m’ont conduit à 1) en apprendre plus sur moi-même (ce que je veux, ce que j’aime), 2) avoir beaucoup plus confiance en moi et à m’affirmer beaucoup plus et 3) à être beaucoup plus détendue et ouverte d’esprit qu’avant. Et ainsi, sans que je m’en rende compte sur le moment, mon rapport à la bouffe a commencé à changer aussi, dans la continuité de tous ces changements et ces évolutions.

Bien sûr, j’ai encore des difficultés (j’ai parfois des réflexes vomitifs au moment où je m’y attends le moins, je mange très lentement et avec précaution les aliments qui ne sont pas encore bien introduits dans mon alimentation et parfois je ne finis pas mes plats car ceux-ci peuvent me donner la nausée même si je les apprécie) mais que de progrès réalisés ! Et surtout, la nourriture n’est plus un frein à quoi que ce soit dans ma vie.
Par exemple, je ne me suis absolument pas empêchée de partir deux mois complets à l’autre bout du monde afin de réaliser le voyage que je rêvais de faire depuis tant d’années ! Que ce soit au Cambodge ou en Thaïlande, il a finalement été facile pour moi de trouver de quoi manger, d’autant plus qu’il était possible dans presque tous les restaurants de remplacer le bœuf par du poulet, des crevettes ou du tofu grillé. J’ai même réussi à goûter du serpent ! Mais je ne le recommande pas car c’était plein de vertèbres. Mon séjour en Chine a été un peu plus difficile au niveau de l’alimentation car j’ai eu beaucoup de mal à trouver des plats végétariens ou sans trop viande ou de poisson. Je me contentais donc le plus souvent de champignons, de riz et de petits pois (j’ai tout de même goûté beaucoup de nouvelles choses comme un plat d’aubergines grillées et du poulet caramélisé). Par moment, j’ai eu des difficultés là-bas mais j’ai toujours réussi à me réfugier dans une boulangerie française pour acheter du pain normal (faîtes gaffe, ils mettent de la crème dans presque toutes leurs viennoiseries !) ou dans un Pizza Hut, un Mac Do ou autre !
Bref, je vous encourage à ne pas laisser votre trouble alimentaire être un frein à vos envies de sortie et de voyage ni à vos relations sociales !

(Soit dit en passant, à la lecture des témoignages réguliers qui circulent sur le groupe Facebook des néophobes et à force de réflexion sur mes propres difficultés, j’ai remarqué que nombre de personnes souffrant de ce trouble souffrent également d’une sorte d’anxiété sociale ou je-ne-sais-quoi qui les contraint tout autant que la néophobie. Le trouble alimentaire créé-t-il cette anxiété ou la nourrit-il simplement ? Cette anxiété est-elle le fruit du trouble alimentaire ou, à l’inverse, le trouble alimentaire est-il le symptôme de l’anxiété ? Bref, c’est la question de l’œuf et de la poule et mon parti est d’agir sur les deux. C’est-à-dire que dans le doute, autant travailler à la fois sur son anxiété et sur son trouble alimentaire.)

Pour conclure et en un mot, je dirais que lors de ces dernières années, j’ai repris possession de moi-même et que ça a eu pour conséquence (ou expression) le fait que je reprenne également possession de mon alimentation.

Voilà, ça sonne très philosophique et nian-nian tout ça mais si je dois analyser les choses et tenter de leur donner un sens et une cohérence, c’est de cette manière que je me le figure.

Encore une fois, je ne sais absolument pas dans quelle mesure mon expérience peut être généralisable ou non. Le seul conseil que je pourrais donner est celui de tenter des choses nouvelles (et positives, hein ! Vous droguez pas svp). Cela peut signifier différentes choses pour chacun.e d’entre nous. Mais je pense que c’est toujours bien de se faire parfois un peu violence et d’aller en dehors de sa zone de confort. Également, je pense qu’il ne faut pas se focaliser exclusivement sur son alimentation. Si le reste va, la nourriture suivra.

Et puis si ça ne suit pas, tant pis, il faut pas s’en faire tout un fromage ! LOL

Sur ce bon mot se termine cet article. J’espère qu’il vous aura plu et aura redonné du courage à nombre d’entre vous !

Néophobiquement vôtre,

Léa

Un grand merci à Léa pour ce témoignage super complet, et qui redonne un peu d’espoir ! Il ne faut pas oublier que rien ne se fait en un jour, et que c’est un combat de tous les jours, petite victoire après petite victoire, mais comme quoi tout est possible !

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2 réflexions sur “Léa, néophobe « à peu près guérie » – Témoignage de Léa, néophobe de 23 ans”

  1. ELISABETH MANGIN

    Juste bravo !!! quel beau témoignage, ça donne de l’espoir et c’est déjà énorme… Je vais lire votre témoignage à mon fils , on ne sait jamais…

  2. Mon fils de 6 ans souffre de dysoralité sensorielle et de néophobie, il ne boit que son lait chocolaté au biberon refusant catégoriquement la tasse ( même avec la paille ) ne mange qie des petits gervais, aucun autre yaourt, et de la soupe seulement sans morceaux, il refuse de goûter quelque aliment nouveau. Ce que j’ai appris dans votre temoignage c’est que la situation peut être reversible si l’enfant ait mis en confiance, merci à vous de faire partager votre expérience

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