Faut-il forcément vouloir guérir ?

Ça fait longtemps que je veux écrire cet article. Il traine dans mes brouillons depuis des semaines, tourne en boucle dans ma tête depuis des mois, sans que je ne sache trop comment aborder le sujet. Alors plutôt que de chercher encore et encore comment l’aborder et tourner autour du pot sans réussir à y mettre les formes, je vais lancer un pavé dans la mare, ça sera beaucoup plus simple.


Je sais que ça va être difficile à accepter pour beaucoup de parents qui lisent ce blog. Et pourtant c’est un sujet qui me tient énormément à coeur, et qui je l’espère, vous aidera à mieux comprendre ce qui se passe dans la tête de vos enfants néophobes. Cet article a vraiment pour but de vous délester d’un lourd poids qui pèse, j’en suis sûre, trop lourd sur vos épaules de parents.

Non, il ne faut pas forcément chercher à guérir à tout prix de la néophobie alimentaire.

Déjà, et surtout, parce que ça n’empêche pas de vivre, ni de grandir, ni d’être en bonne santé. Il y a des tas d’adultes néophobes qui sont en bonne santé. Certains sont un peu plus gros que la moyenne, d’autres un peu plus maigres. Certains ont des enfants, d’autres ont plus de mal dans leurs relations sociales. Mais tout comme certains sont blonds et d’autres sont bruns, certains sont grands et d’autres petits : ce n’est pas forcément, et surtout pas seulement, la néophobie qui influe sur la forme et la santé globale. Tant que votre enfant réussit à se nourrir à sa faim, et qu’il grandit correctement, alors il n’y a pas forcément lieu de s’inquiéter.

Il y a sur le groupe Facebook, et parmi les lecteurs de ce blogs, beaucoup d’adultes néophobes, moi la première, qui pourront confirmer qu’on peut très bien vivre en étant adulte et néophobe. Bien sûr, ça demande quelques ajustements, bien sûr, ce n’est « la norme », et alors ? Tant que ça n’empêche pas d’être heureux, c’est bien là l’essentiel !

Ensuite, parce qu’il n’y a pas aujourd’hui pas de « remède » connu et 100% efficace. Il y a des pistes d’améliorations, et je parle sur ce site de toutes celles que j’ai pu expérimenter moi-même, mais jusqu’alors, aucun remède miracle. J’ai pu évoluer, beaucoup, agrandir significativement mon régime alimentaire, grâce à ces différents traitements et méthodes. Mais malgré tout, je suis toujours néophobe, et je suis loin d’être « guérie ». Vouloir guérir à tout prix met une pression énorme sur les épaules du néophobe, et très certainement sur celles des parents dans le cas d’enfants où ce sont les parents qui décident de faire ces démarches. Cette pression rajoute un poids supplémentaire inutile à une condition qu’il n’est déjà pas facile à accepter, de par les pressions sociales notamment.

Vouloir guérir à tout prix, c’est placer la barre très haute et prendre le risque d’être fortement déçu, et pour longtemps.

Plutôt que de vouloir guérir, travailler pour l’accepter et le faire accepter aux autres.

Petite, j’ai longtemps eu très honte de ma néophobie. Je le cachais le plus possible, évitais au maximum les situations de repas à l’extérieur. Résultat : je n’allais jamais dormir chez les copains, je pleurais dès qu’on abordait le sujet. Je me sentais « difficile », « capricieuse », et surtout « pas normale », des choses qui sont difficiles à accepter. Et puis, à l’adolescence, j’ai commencé à réussir à mieux exprimer mes sentiments, et j’ai trouvé que la comparaison avec une phobie était ce qui expliquait le mieux ce que je pouvais ressentir face à de nouveaux aliments. C’était bien avant de connaître les termes néophobie alimentaire et dysoralité sensorielle…

Cette analogie à la phobie m’a non seulement beaucoup aidée dans mes relations, car elle permettait à mon entourage de mieux comprendre ce que je ressentais, mais m’a aussi déculpabilisée : on ne s’en veut pas d’avoir peur des araignées ou du vide, une phobie est une peur irrationnelle, alors pourquoi moi, je devrais m’en vouloir d’avoir peur de la nourriture ? Plus tard, avec la découverte de la dysoralité sensorielle et de mon diagnostic, j’ai été confortée dans l’idée que je ne devais pas culpabiliser pour ma néophobie car elle a bel et bien une cause physiologique.

J’ai rencontré et discuté avec plusieurs personnes pour qui la néophobie a été la cause d’une sorte de phobie sociale, qui s’est développée à force de vouloir cacher à tout prix sa néophobie à son entourage. Ces personnes représentent une petite minorité parmi tous les néophobes avec lesquels j’ai pu échanger depuis la création de ce site et du groupe facebook, mais le risque est tout de même bien présent.

Selon moi, c’est l’aspect le plus dangereux de la néophobie, surtout dans un pays comme la France où la nourriture prend une telle importance dans la vie sociale. L’essentiel n’est pas de manger de tout ou de manger comme tout le monde (d’ailleurs ces derniers mois / années on voit une grosse émergence des régimes végétariens/végétaliens et la norme est en train peu à peu de changer), mais de savoir expliquer pourquoi on mange différemment, sans honte.

Savoir l’expliquer, et apprendre à se débrouiller pour que cette différence ne soit pas handicapante dans la vie de tous les jours a vraiment été pour moi l’élément déclencheur qui a transformé un réel handicap en simple différence, une petite maladie qui se gère très bien au quotidien sans m’empêcher de vivre.

Savoir réussir à vivre tout ce que l’on a à vivre, tout ce que l’on souhaite expérimenter, sans que cette différence ne soit un frein. 

Réussir à partir en voyage scolaire, s’aventurer à l’étranger (spoiler: il y a des McDo dans la plupart des pays du monde et si l’on reste en ville, il est rare de ne pas réussir à trouver au moins des frites, des pâtes ou une pizza), partager des moments avec ses proches, que ce soit des réunions de famille ou des repas au restaurant, partager les pauses déjeuner avec ses camarades de classe ou ses collègues… 

Tout ça, à mes yeux, est bien plus important que de réussir à manger une entrecôte, un filet de cabillaud ou des brocolis. 

Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, mais je ne suis pas non plus contre l’acharnement, et je veux vraiment faire passer le message que ce n’est pas primordial pour que les enfants grandissent, et que ce n’est pas grave s’ils ne sont pas guéris, qu’ils peuvent quand même grandir en bonne santé et avoir une vie tout à fait normale. 

S’il est compliqué pour votre famille ou votre enfant d’assumer, d’expliquer, de vivre avec sa néophobie, alors la première étape, selon moi, est de travailler sur cette partie là. L’aide d’un psychologue peut aider, l’entraide entre personnes vivant une situation similaire également. N’hésitez pas à nous rejoindre sur le groupe facebook, à échanger avec les autres parents (mamans pour la plupart, soyons honnêtes). Des rencontres peuvent également être organisées pour ceux qui le souhaitent, il ne faut pas hésiter à le proposer sur le groupe. Les enfants peuvent aussi échanger, soit avec d’autres enfants/ados, soit même avec un adulte néophobe, qui traverse ou a traversé les mêmes choses, mais de part son statut d’adulte, arrive à mieux le comprendre et le verbaliser. 

Le reste, chercher à guérir, à goûter, à élargir son alimentation, ne doit venir qu’en seconde position, une fois que l’enfant est à l’aise avec ça, et surtout aussi, (encore une fois, c’est vraiment mon point de vue d’adulte néophobe), seulement quand l’envie vient de la part de la personne malade. Comme je le disais, le traitement est long et très progressif, il faut beaucoup de patience, de persévérance et de volonté, alors si la personne n’est pas volontaire, je ne vois pas comment ça pourrait fonctionner… Et puis, j’en ai déjà sûrement parlé plusieurs fois, forcer est tout simplement contre-productif et a généralement l’inverse de l’effet souhaité à savoir renforcer encore les blocages… 

J’ai vraiment l’impression, à lire certains témoignages, que les parents traînent leurs enfants de spécialiste en spécialiste et que leur trouble de l’oralité ou néophobie devient le centre de tout, prend encore plus de place qu’il n’en occupe déjà, et pourrit une partie de l’enfance des enfants au lieu d’aider à améliorer les choses… Et au final, dans beaucoup de cas, on réalise après coup que finalement le lâcher prise est la plus bénéfique de toutes les situations… 

J’avais prévenu, j’ai lâché un pavé dans la mare… et je rappelle que cet article – tout comme l’ensemble de ce blog – n’engage que ma propre expérience et n’est en aucun cas la bonne parole ou la seule vérité. Ce n’est qu’un aperçu de ce que j’ai pu vivre en tant que néophobe pour vous aider à mieux comprendre vos enfants et ce qu’ils traversent. Mais c’était important pour moi de vous partager mon point de vue sur ce sujet. 

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3 réflexions sur “Faut-il forcément vouloir guérir ?”

  1. alexandra desutter barrere

    En lisant ce témoignage je me suis reconnu en tant que maman.
    Mon fils Sacha a maintenant 12 ans (aujourd’hui d’ailleurs).
    Il y a quelques années, Marie m’avait demandé de témoigner sur ce blog, ce que j’avais accepté tout de suite.

    Mon fils a donc 12 ans. Il a été diagnostiqué SDS alors qu’il avait 5 ans. Il a eu les massages mais les résultats n’ont pas été ceux espérer. Certes depuis il a ajouté quelques aliments mais il ne mange toujours pas « comme les autres ».
    Toujours pas de pâtes, riz, poissons, viande, légumes fruits, crudités …..

    Nous avons arrêté également les autres suivis (psy). Enfin nous, je dirais lui.
    Sacha me disait qu’il en avait marre. Et je voyais que mon fils allait à reculons à ces rendez-vous.
    Nous avons décidé de tout arrêter.

    Depuis ?? Sacha va bien, même très bien. Il rentre en 5ème en septembre avec plus de 17 de moyenne. Il fait du tennis et de la marche athlétique en compétition. Il a pleins d’amis et est invité aux anniversaires. Il part en voyage scolaire et sportif.

    Mon fils n’est pas guéri du SDS et n’y sera probablement jamais. Ce n’est pas grave comme il dit. Je suis moi et c’est tout !!! (la vérité sort de la bouche des enfants !!)
    Il a une vie sociale, sportive et tout se passe merveilleusement bien pour lui.

    L’entourage amical et familial ont très bien compris et accepter ce SDS. Nous nous adaptons tous à ces difficultés et tout se passe bien.

    Lorsque je dois expliquer ces difficultés je dis que c’est une maladie. Je sais ce n’est pas bien. Mais depuis que je dis le mot maladie et bien je n’entends plus rien de désagréable (comme tout le monde ici j’ai entendu : ce sont des caprices, un enfant ne se laisse pas mourir de faim et bien d’autres).
    Si une personne n’accepte pas, je zappe.

    Je ne regrette absolument pas de l’avoir écouté, compris sur le fait de dire stop. Depuis il est heureux et il s’est accepté tel qu’il est. Je ne me voyais pas lui imposer les rdv lorsqu’il ne les voulait plus.
    Bien sur nous avons essayer avec les psy, ortho, hypo thérapie, art thérapie et autre pie…..
    Je ne dis pas que tout a été facile. Des maîtresses n’ont pas voulu comprendre. Pas de soucis : un coup de téléphone de l’ortho qui le suivait et tout s’arrangeait comme par miracle.
    Un voyage scolaire qui s’est mal passé : une petite visite pour remettre tout le monde à sa place.

    Nous et Sacha avons accepté sa différence et cela fait toute la différence. Plus de stress, plus d’angoisse.

    Il sera peu être toujours néophobe et SDS mais cela ne l’empêchera d’être heureux.

  2. Merci pour cet article. En tant que maman d’une néophobe de 7 ans j’ai laché les orthophonistes et pédopsy depuis 2 ans car aucune amélioration et effectivement le fait de vouloir guerir absolument devient le but ultime pour lequel il faut tout faire.
    Ma fille vit sa vie presque normalement car elle ne peut pas manger a la cantine. En maternelle je pouvais emmener des paniers repas mais au primaire s’il n’y a pas de raison medicale c’est considéré comme un « caprice » donc interdit.
    Ma fille ne se laisse pas mourrir de faim elle est meme gourmande( a sa facon et avec le peu d’aliments qu’elle accepte) mais je dirais que le fait de la faire cuisiner la fait progresser pas forcement pour gouter les aliments mais pour les toucher.
    Par exemple elle n’aime pas les oeufs ni les bananes mais nous faisons souvent des gauffres elle casse les oeufs on rajoute de la banane ecrasée ( astuce de vegetalien) et elle adore ca. Au fil du temps des gauffres on est passé aux crepes du coup vu que c’est un dessert souvent proposé au resto ca devient plus facile de manger dehors avec elle.
    Pareil pour les pommes de terre des frites on est passé au pommes noisettes ou duchesse et maintenant elle accepte les patates du moment qu’elle sont cuites a l’huile. La texture purée la rebute encore mais je suis sure que ca viendra.

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire
      Pour la primaire, de + en + de médecins scolaires acceptent de faire un PAI pour la néophobie, avec l’appui du médecin traitant ou de l’orthophoniste ça peut aider un peu semble-t-il. Cela lui permettrait d’apporter son propre repas comme vous faisiez en maternelle.
      Pour les progrès c’est super, il y a un article dans la section progresser, sur le food chaining, c’est tout à fait ce que vous faites avec les gaufres ou pommes de terre. Pour la purée pas sûr, la texture est vraiment particulière, pour ma part j’ai toujours beaucoup de mal. L’écrasé de pomme de terre passe un peu mieux (même si je ne l’accepte pas à 100%)
      Mais il y a plein d’autres façons de cuisiner les pommes de terre (parole de patatosaure !) les pommes de terre en robe des champs ou au four, le gratin dauphinois (mon péché mignon), les pommes rissolées (j’adore aussi les mélanges pommes de terre – patate douce en pommes rissolées, findus en fait mais j’ai du mal à en trouver) etc
      Trouver des aliments « sociaux » comme l’exemple que vous citiez avec les crêpes est super important pour son intégration sociale, même si ce ne sont pas forcément des plats bons pour la santé (quoi que pour les crêpes ça va quand même), ça facilite tellement la vie. Ma vie a clairement changé quand j’ai commencé à manger de la pizza et des burgers au poulet !

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