Interview de Audrey Lecoufle, orthophoniste, dans Vies de famille, émission de radio

Partage d’une émission de radio très instructive de RCF, autour des troubles de l’oralité alimentaire, à travers l’interview d’une orthophoniste spécialiés, Audrey Lecoufle.

Source originale: RCF radio – Vies de famille

Je vous ai retranscrit toute l’interview car le replay n’est plus disponible. C’est exactement la même chose que la bande son originale !

Journaliste – Bonjour, ravie de vous retrouver dans Vies de famille. Votre enfant refuse de manger, il est sélectif avec la nourriture. Il refuse les éléments nouveaux, les morceaux. Il a des nausées, des vomissements pendant les repas. Ouille ouille ouille… Alors on vous a dit « il faut le forcer, c’est un caprice », ou alors on va dit « de toute façon laisse-le, un enfant de ne laisse pas mourir de faim », et vous avez quand même mauvaise conscience à le forcer, c’est compliqué, le repas est devenu un moment très très tendu… Alors, que faire ? Est-ce qu’il s’agit d’un caprice ? Ou est-ce qu’il s’agit d’un trouble de l’oralité alimentaire ? C’est de cela dont nous allons parler aujourd’hui. Ce refus de manger est une réelle source d’angoisse pour les parents et sans doute pour l’enfant aussi, l’heure des repas peut vite se transformer en combat, en stress. Alors, on va tenter d’y voir clair aujourd’hui. Pour cela, je reçois Audrey Lecoufle, qui est orthophoniste au service de gastro-nutrition du CHR de Lille. Bonjour Audrey

Audrey Lecoufle – Bonjour

Journaliste – Alors, pouvez-vous dans un premier temps nous expliquer de quoi il s’agit quand on parle de ce trouble de l’oralité alimentaire ?

A – Alors, le trouble de l’oralité alimentaire, il y a plusieurs façons de le définir. On peut l’appeler de plusieurs façons en fonction des auteurs, on peut retrouver dysoralité, certains parlent d’aversion alimentaire sensorielle, de trouble des fonctions alimentaires… Il y a plein de façons différentes de parler de cette même chose. A l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus sur les appellations qui vont recouvrir une grande variété de tableaux cliniques, mais de façon simple, on va parler de troubles de l’oralité alimentaire pour désigner l’ensemble des difficultés à s’alimenter par la bouche, l’ensemble des problèmes d’alimentation par voie orale, l’oralité étant définie comme l’ensemble des fonctions de la bouche : manger, respirer, parler, pouvoir découvrir avec sa bouche, les goûts, les textures, la communication et le langage. Donc on se rend compte que les troubles de l’oralité regroupent vraiment toutes ces fonctions-là et avec un retentissement du coup qui peut être important.

J – Oui effectivement, et d’où l’intérêt de consulter éventuellement une orthophoniste spécialisée dans ce domaine-là. Parce que peut-être qu’en première intention on se dit « il ne veut pas manger je ne vais pas forcément aller voir une orthophoniste, mais vous avez tout un travail à faire.

A – Oui, tout à fait, il y a un travail très important qu’on peut mener autour de l’oralité alimentaire, qui fait partie maintenant depuis le 1er avril 2018 de notre nomenclature des actes en orthophonie, donc on a une reconnaissance maintenant au niveau du ministère sur ce domaine-là, avec une reconnaissance du bilan des troubles de l’oralité, et la prise en charge avec l’acte de prise en charge des troubles des fonctions oro-faciales et de l’oralité, donc ça fait maintenant entièrement partie des actes que les orthophonistes peuvent ré-éduquer.

J – Donc d’abord ces signes, qu’est-ce qui est visible ? Comment les parents peuvent se retrouver là-dedans ?

A – Alors, les signes cliniques du trouble de l’oralité sont multiples, et il peut y avoir plusieurs formes d’expression. On peut retrouver des difficultés sur les temps de repas et en-dehors des temps de repas.

Sur les temps de repas, ça va être par exemple des enfants qui ont du mal à passer à la cuillère, des enfants qui ne vont aimer que des textures très très lisses, qui auront du mal à passer aux morceaux, qui vont être nauséeux à chaque changement de texture, de température des aliments, qui ne vont avoir aucun plaisir à manger, qui ne réclament jamais – les parents peuvent nous dire « si je ne lui donne pas à manger, il va rester toute la journée sans réclamer, il ne prend pas de plaisir ».
Des temps de repas qui vont être très longs, les parents peuvent décrire des temps de repas d’une heure, où il faut divertir l’enfant, il faut mettre la télé, il faut se déguiser…
Des enfants qui vont stocker la nourriture pendant longtemps dans les joues aussi, qui vont faire des sortes de boulettes dans les joues et qui n’arriveront plus à avaler après, ou des enfants qui vont avoir des aversions sélectives, par exemple ils vont manger tels aliments parce que c’est croustillant, mais pas tels autres qui ont d’autres caractéristiques sensorielles.
Et donc on se rend compte que sur les temps de repas, c’est devenu des moments de conflits et de tensions permanents, que les parents vont appréhender, et qui vont être compliqués pour l’enfant. Donc ça, c’est les signes cliniques sur les temps de repas.

On a aussi des signes, des choses à repérer en-dehors des temps de repas. Ce sont par exemple ces enfants qui ne portent jamais rien en bouche. On sait que dans le développement ordinaire de l’enfant, il y a une phase entre 0 et 18 mois, où l’enfant va découvrir le monde en explorant tout ce qui l’entoure avec sa bouche. Et on se rend compte que ces enfants-là, enfin une grande majorité des enfants qu’on accueille avec des troubles de l’oralité alimentaire, ne sont pas passés par cette phase de découverte de l’environnement par la bouche, parce qu’ils ont une bouche qui est du coup trop sensible et ils ne prennent aucun plaisir à y découvrir le monde. Donc on sera vigilent à cette exploration oralie qui est très importante pour nous.
Ca peut être des enfants aussi qui présentent des hyper-réactivités ou des hypo-réactivités. Alors c’est un mot un peu compliqué juste pour dire que ce sont des enfants au niveau sensoriel qui vont être gênés par certaines choses qui vont y répondre de façon hyper-réactive. Par exemple, ils vont être gênés par le contact d’un vêtement, et, au lieu d’y répondre de façon ajustée en disant « j’aime pas » ou « ça me gêne », ils vont pouvoir faire des crises de colère ou des choses très importantes. Donc on peut voir des hyper ou des hypo-réactions sur tous les sens. Donc ça peut la vue, le goût, l’olfaction, le système vestibulaire. Tous les sens sont exacerbés, et ce sont des enfants qui sont un peu irrités par tous ces sens-là et par toutes les informations sensorielles qu’ils n’arrivent pas à traiter.
Ca peut être aussi des enfants qui présentent des haut-le-coeur, des vomissements, même en-dehors des temps de repas, ou alors des enfants qui présentent des troubles oro-moteurs, c’est à dire ils n’arrivent pas bien à bouger leur langue, leurs joues, à faire des mouvements, parce que ce qui est important c’est de se dire que la bouche, elle nous sert à manger et à parler, et donc quand c’est compliqué pour nous de manger, il peut aussi y avoir un lien sur l’articulation, sur le langage, parce que du coup, la mastication demande des mouvements oro-moteurs très fins, de la même façon que l’articulation et le langage. Donc on est toujours vigilents aussi à ces deux plans-là.

J – C’est intéressant, parce que effectivement on dit on retrouve l’alimentaire, on se dit il y a des soucis quand on mange, mais il y a toute cette observation à faire au quotidien de l’enfant.

A – Oui, il peut y avoir des répercutions vraiment sur le quotidien de l’enfant, et donc on est amenées dans nos bilans à poser des questions par exemple sur le lavage de dents, est-ce qu’il est possible pour l’enfant ou pas. Les enfants qui ont un trouble de l’oralité, souvent le brossage des dents est très compliqué parce qu’il faut accepter la brosse à dents, du dentifrice, et donc c’est des enfants qui sont souvent nauséeux à ces sensations-là.
On pourra poser des questions aussi sur la sensorialité plus générale, est-ce que par exemple l’enfant accepte de marcher dans le sable, de marcher pieds nus sur l’herbe, de faire un shampoing par exemple et d’avoir de l’eau un peu sur le visage, d’être massé, pour un tout petit, d’être massé avec une crème. Et tout en fait tout ça peut refléter ce qu’on appelle des troubles du traitement de l’information sensorielle dont font partie les troubles de l’oralité alimentaire aussi.

J – D’accord, c’est vraiment intéressant tout ça. Nos auditeurs, ne prenez pas peur, tout n’est pas trouble de l’oralité. Est-ce qu’on a une idée des causes de ce trouble ?

A – L’origine de ces troubles n’est pas toujours facile à identifier, parce qu’il y a plusieurs causes qu’on peut repérer. Il peut y avoir des causes médicales ou organiques, les enfants qui ont par exemple des intolérences alimentaires, qui vont avoir des régimes d’exclusion alimentaire très stricts.
Les enfants qui ont un reflux gastro-oesophagien pathologique, c’est sûr que certains enfants vont vite engrammer « je mange, j’ai mal, donc je ne veux plus manger ».
Les enfants qui ont des pathologies organiques, des malformations congénitales par exemple les enfants qui ont des fentes palatines ou des malformations digestives, on sait qu’ils vont avoir pendant un petit moment besoin d’une assistance nutritionnelle, de sondes, qui peuvent entraîner par la suite des difficultés alimentaires.
Ca peut être aussi des enfants qui ont des difficultés oro-motrices, des enfants qui ont du mal à têter, à bien positionner leur langue, leur bouche, qui ont une bouche un peu hypotonique, les lèvres qui tombent un petit peu.

Ca peut être aussi des origines qu’on pourrait appeler psycho-comportementales. Ces enfants qui ont un peu peur de la nouveauté, ou alors qui ont vécu des éléments traumatiques qui ajoutés les uns aux autres avec en plus un terrain un peu fragile peuvent déclancher, ou en tout cas être le terrain de troubles de l’oralité alimentaire.
Ou ces enfants qui ont des fragilités sensorielles, et c’est peut-être ce qu’on peut repérer de façon plus générale dans la population tout venant hors pathologie, ce sont des enfants qui ont du mal à découvrir leur environnement au niveau sensoriel et vont être très vite gênés par les goûts, par les odeurs. Des enfants que les parents vont décrire comme hyper-réactifs, hyper-sensibles à tous les sens.

Donc ces causes sont rarement isolées, et souvent entre-mêlées. C’est ça qui fait la richesse et la complexité de ce travail et de poser un diagnostic. Et du coup, c’est important d’avoir une évaluation très rigoureuse. On a un temps d’anamnèse où on va vraiment échanger avec les parents pour essayer de mieux comprendre l’enfant, son histoire médicale ou alimentaire. Et puis un temps où on va observer l’enfant en dehors du repas sur des petits jeux plutôt sensoriels. Un temps où l’on va observer l’enfant sur un temps de repas. Et puis un temps d’évaluation, où là on va pouvoir essayer d’apporter des gestes facilitateurs ou des choses pour aider l’enfant.

J – Alors, pour rassurer nos auditeurs, dès que l’enfant ne veut pas manger ou que le passage aux morceaux est difficile, ce n’est pas forcément un trouble de l’oralité. C’est quoi la différence entre le côté un peu pathologique et un peu normal ?

A – Alors, effectivement, il y a une phase normale du développement de l’enfant qui s’appelle la néophobie alimentaire. La néophobie alimentaire, c’est une phase par laquelle passent 80% des enfants. Ce sont des enfants qui mangeaient très bien, qui ont pu être diversifiés sans problème, le passage aux morceaux s’est bien passé. Et puis tout d’un coup, ils se disent que les légumes verts par exemple, ils n’aiment pas, ils n’en veulent plus. Ou alors, que tout ce qui est de telle couleur ou de telle texture, ils n’en veulent plus. Donc cette phase-là est complètement normale.

A la différence, dans le trouble de l’oralité alimentaire, dès le début du développement, il y a eu tout de suite des petits grains de sable qui sont venus enrayer les choses.

Voilà, donc c’est la différence. La néophobie, le développement s’est bien passé et à un moment l’enfant ne veut pas. Dans les troubles de l’oralité, c’est l’enfant qui ne peut pas et qui dès le début, manifeste déjà des difficultés.

J – Bon donc ça rassure, parce que s’il fait un petit caprice qu’il ne veut manger que du blanc, ce n’est pas grave, on va essayer de feinter, on va ruser et puis on verra ce que ça donne. Merci pour cet éclaircissement qui va rassurer tout le monde. Donc on a bien compris Audrey Lecoufle, que vous êtes avec nous pour nous parler de ces troubles de l’oralité alimentaire. On vient de voir un peu toutes ses causes et surtout toutes ses manifestations, qui sont finalement multiples, parce que ça ne se limite pas au temps des repas, donc il faut observer et prendre du temps, voir comment l’enfant réagit dans moultes situations. Et puis, à partir de là, un caprice peut-être, ou alors un trouble, si c’est un trouble c’est là depuis longtemps. Ensuite, Audrey va nous donner des conseils un peu plus précis sur ce qu’il y a lieu de faire pour que ça se passe bien si on est en situation un petit peu délicate.

Ce qui m’interpellait, c’est en quoi le travail d’une orthophoniste intervient dans les troubles de l’oralité alimentaire ? Parce qu’on pense aux maths, on pense à tout ça, mais expliquez-nous…

A – Tout à fait, c’est vrai qu’on a plus la représentation de l’orthophoniste autour du langage oral et du langage écrit, mais l’orthophoniste travaille aussi sur tout ce qui concerne la bouche, dans son versant communication et dans son versant alimentation. L’orthophoniste peut être amenée à rencontrer des patients de tous âges, ça peut aller du bébé prématuré pour lequel la coordination « je tête, je déglutis, je respire » est compliquée, à la personne adulte après un AVC ou à la personne âgée en neuro-gériatrie pour réapprendre le plaisir à manger en tout sécurité. Donc on se rend compte que l’alimentation touche tous les âges de la vie et donc que l’orthophoniste est un partenaire à ne pas oublier dans ces aspects alimentaires. Et donc, à l’hôpital, je travaille au CHR de Lille auprès de bébés et de jeunes enfants qui présentent des difficultés alimentaires dans le cadre de pathologies digestives plutôt rares, ce sont des enfants qui sont hospitalisés dans le service soit de façon ponctuelle, soit de façon plus chronique et qu’on essaye d’accompagner autour de l’alimentation pour que ça reste un plaisir et pour qu’ils puissent remanger par la bouche le plus rapidement possible par la suite.

Et donc, la bonne nouvelle pour les orthophonistes, comme on en parlait tout à l’heure, c’est que depuis le 1er avril 2018, on a une vraie reconnaissance de ce domaine dans notre champ de compétences. Et donc les troubles de l’oralité alimentaire font partie de notre nomenclature des actes, et les orthophonistes sont de plus en plus formées, en formation intiale, et en formation continue, à ces difficultés-là, pour mieux accompagner les jeunes patients, et les jeunes parents aussi.

J – On disait aussi en première partie que manger était en lien avec tous les sens. Est-ce que vous pouvez développer un peu ça ?

A – Pour prendre plaisir à manger, on ne s’en rend pas compte parce que c’est un acte qu’on fait de façon pluri-quotidienne, mais pour prendre plaisir à manger, tous nos sens sont sollicités.

La vue par exemple, est l’un des premiers sens sollicités quand on mange, c’est vrai qu’une assiette joliment présentée va donner envie, alors que quand tout est mélangé et n’a pas une jolie couleur, tout de suite ça va moins donner envie, alors que peut-être que l’aliment est très bon. Donc on se rend compte que la vue c’est le premier sens qui va nous donner envie d’aller vers un aliment, ou pas. Donc c’est un sens particulièrement important, sur lequel il faudra être vigilent aussi, présenter une assiette sympa à l’enfant, ça lui donne déjà envie d’aller plus loin.
Les restaurateurs l’ont bien compris, quand dans un restaurant étoilé on vous présente une belle assiette, vous n’y allez pas pour la quantité, mais déjà juste pour le plaisir visuel. Donc la vue est importante.

L’audition est aussi un sens important qu’on oublie souvent un petit peu. Parce que déjà, dans le quotidien de l’enfant, les bruits de la cuisine font partie des bruits de son quotidien. Mélanger dans une casserole, faire chauffer des choses à la poele, mixer, ce sont des sons qui font partie du quotidien de l’enfant et qui le préparent aussi à ce qui va se passer après c’est-à-dire le temps de repas.
Et il y a un autre versant qui est intéressant dans l’audition, c’est que quand on mange, on entend aussi quand on fait du bruit, et notamment quand on mange des aliments qui croustillent. Il y a ce qu’on appelle un feedback auditif. C’est ce qu’on entend quand on mange un biscuit apéritif par exemple qui croustille. Et ce côté croquant, que l’enfant va entendre, est souvent très intéressant pour eux parce que ça leur donne envie de croquer et de mastiquer encore plus. Donc l’audition est importante.

Il y a aussi le sens tactile. Le sens tactile est souvent très développé chez les tous petits, parce que l’enfant, dans son développement, si on lui laisse des choses à disposition, qu’est-ce qu’il fait ? Il va mettre les mains, il écrase, il patouille en y prenant du plaisir, en écrasant les aliments, en les portant en bouche après. Et donc ça lui permet de découvrir avec ses mains ce qu’il va devoir mettre en bouche, et donc d’avoir une connaissance de qu’est-ce qui va se passer dans sa bouche. Par exemple, j’ai un morceau dans la main, quand je l’écrase ça va fondre, ah bah tiens dans ma bouche il va se passer la même chose. Donc cette découverte tactile elle est vraiment importante chez le tout petit, parce que c’est ce qui va lui permettre de découvrir les propriétés de l’aliment. Est-ce que c’est dur ? C’est mou ? Est-ce que je vais devoir le croquer ? Est-ce que c’est chaud ? Donc découvrir vraiment tout le côté sensoriel tactile de l’aliment

J – Donc on peut laisser patouiller les enfants alors ?

A – Oui, tout à fait. Je dis toujours aux parents, dans le respect du cadre éducatif qu’on se pose, mais c’est vraiment important de laisser l’enfant pouvoir découvrir avec ses mains avant de pouvoir mettre en bouche.

Le repas, c’est aussi l’odeur des aliments, l’odeur qui nous donne envie, ou qui ne nous donne pas envie. L’odeur prépare du coup la salivation et donc la digestion.

Et puis, c’est bien sûr le goût. Pouvoir prendre plaisir à découvrir le goût des aliments.

Et il y a deux systèmes sensoriels qui sont un peu moins connus mais qui sont aussi sollicités sur les temps de repas, c’est le système vestibulaire, qui nous permet d’être en équilibre. Par exemple, quand on mange normalement, on est bien assis sur une chaise, bien installé, et c’est ce qui nous permet de manger de façon efficace. Et quand on a un trouble du système vestibulaire, ce sont des enfants qui ont besoin de bouger en permanence, qui ne tiennent pas en place.

Et le système proprioceptif, c’est le système qui nous renseigne en permanence sur notre position dans l’espace, et c’est en lien avec l’installation sur les temps de repas. C’est pour ça qu’on dit toujours, c’est important pour bien manger d’être bien installé. Vous avez peut-être fait l’expérience de manger sur un tabouret de bar avec les pieds ballants dans le vide, les coudes qui ne sont pas en appui, la table qui est un petit peu loin, et bien on profite moins de ce qu’on mange. Donc c’est vrai que l’installation est vraiment très importante pour se libérer de la contrainte de la posture et pouvoir manger de façon agréable.

J – Ok, donc de là, on peut peut-être déjà proposer des conseils aux parents alors ? Qu’est-ce qu’on peut leur donner pour que le temps du repas se passe bien ?

A – Donc, on se rend compte que comme l’oralité est un domaine qui touche énormément d’éléments, il y a beaucoup de pistes qu’on peut proposer. Donc ça peut être déjà, d’être vigilent à tous les sens, c’est-à-dire la vue. Présenter une assiette joliment décorée, sympa, qui donne envie. Présenter des petites quantités, parce que c’est toujours plus encourageant d’avoir une petite quantité et de finir plutôt qu’une grosse quantité où on va manger une cuillère et ça ne se verra pas dans la masse. Donc des petits quantités.

On dit toujours « inciter sans forcer », donc c’est à dire proposer à l’enfant. Plus on lui propose, plus on a une chance pour que l’aliment fasse partie de son panel alimentaire, mais sans forcer parce que ce n’est pas ça qui va aider l’enfant à manger. Dans les troubles de l’oralité alimentaire, ce n’est pas qu’il ne veut pas, mais c’est qu’il ne peut pas le faire. Donc on essaye d’accompagner mais sans être dans du forçage.

Donc ça peut être essayer de l’intéresser à de nouveaux aliments, en lui proposant d’abord de les découvrir avec ses mains, de les sentir, de les porter à la bouche, tout ça de façon ludique pour amener l’enfant à s’y intéresser.

Ca peut être aussi lui proposer des temps où il mange avec d’autres enfants, parce qu’on sait à quel point c’est important l’imitation avec les tous petits, pour qu’il puisse regarder comment font les autres, regarder comment font papa et maman. Donc tout ça, ça va être des choses importantes, et après, je pense que s’il y a des parents qui sont inquiets sur l’alimentation de leur enfant, ça peut être intéressant de proposer un bilan pour s’assurer qu’il s’agit du développement normal ou de troubles et faire la part des choses entre les deux, pour ne pas inquiéter à l’excès et pour accompagner les enfants de façon précoce.

J – Donc là, on peut faire un bilan en libéral chez une orthophoniste qui a été formée à ça ? Toutes les orthophonistes ne sont pas forcément formées à ça ?

A – Depuis la réforme des études, depuis 5 ans, ça fait partie de la formation initiale des orthophonistes, avec un module de 90 heures sur l’oralité alimentaire, donc nos jeunes collègues seront formées.

J – Donc ça commence à venir, très bien. Et vous disiez tout à l’heure dans la première partie qu’il fallait aussi être vigilent de tout ce qui se passe en amont du repas. En amont ou en aval, mais dans la vie de tous les jours.

A – Tout à fait. Les petits pistes de prévention qu’on pourrait c’est de proposer aux tous petits des petits jeux à porter en bouche, des petits hochets de dentition, des choses qui ont des textures variées, qu’ils vont pouvoir mettre en bouche, pour découvrir leur bouche avec plaisir. Et ça a un lien du coup, indirectement, avec l’alimentation. Plus on va porter en bouche des choses avec des textures variées, plus notre bouche va accepter après d’avoir des petits morceaux, des choses un peu variées. Donc cette découverte-là aussi est importante. En dehors des temps de repas, c’est laisser l’enfant pouvoir découvrir aussi par des activités sensorielles.

Et puis, il y a aussi tout le travail oro-moteur qu’on va mener pour ces enfants, c’est-à-dire leur montrer que leur bouche elle peut aussi faire des mouvements, claquer la langue, gonfler les jours, apprendre à mastiquer sur des outils de mastication, pour travailler aussi cette motricité-là et que ces enfants puissent s’en servir après pour mastiquer.

J – D’accord, très très intéressant tout ça. En préparent l’émission, vous me disiez que vous organisez des ateliers pour présenter un peu toutes ces choses-là, avec une association, expliquez-nous un petit peu ?

A – A l’hôpital, on organise une fois par mois des ateliers pour les enfants qui sont passés par le service hospitalier, qui ont un suivi en libéral, et pour lesquels l’orthophoniste nous sollicite pour proposer un groupe. Parce qu’on sait à quel point le groupe est thérapeutique. Et donc on mène trois ateliers, un pour les enfants entre 1 et 3 ans, un pour les 3-6 ans et un pour les plus de 6 ans, où on va leur proposer une recette de cuisine, avec des choses à sentir, à toucher, à goûter, et chacun fait comme il peut dans le respect de ses compétences. L’objectif c’est d’être là, de regarder, de participer à hauteur de ce qu’on peut faire.

J – D’accord. Puis vous me présentiez aussi des brochures d’une association, expliquez-nous ?

A – Le groupe miam-miam est un groupe de réflexion et de sensibilisation autour des troubles de l’oralité alimentaire parents-soignants. On a une antenne nationale et des antennes régionales, et on essaye de transmettre, d’informer et de sensibiliser les professionnels et les parents aux troubles de l’oralité alimentaire, parce que les parents sont partenaires principaux à accompagner, parce que ce sont eux qui sont au quotidien avec leur enfant, et donc l’objectif c’est que ça se passe bien avec eux. Donc ce sont vraiment les partenaires privilégiés de tout notre travail auprès de l’enfant.

J – Alors, qu’est-ce que vous nous proposez dans cette association du groupe miam-miam ?

A – Alors, dans cette association on organise dans la région des Hauts-de-France une fois par an minimum une soirée d’information et de sensibilisation, et on est amenés aussi à créer du matériel, à créer des fiches, des outils, des guides pratiques, que vous pouvez retrouver en téléchargement sur le site web du groupe miam-miam, pour sensibiliser, pour informer, pour faire connaître, et pour donner aussi des pistes pour accompagner de façon la plus ajustée possible.

J – Et je les ai vues ces fiches, elles sont très bien faites ! Donc je vous invite vraiment à aller voir, l’association groupe miam-miam.

Donc je pense que nos auditeurs ont des bonnes pistes pour que les repas se passent bien. Donc si on devait conclure, qu’est-ce que vous pourriez dire Audrey pour conclure nos propos ?

A – Ce qui est important, c’est de pouvoir faire la part des choses entre le développement ordinaire de l’enfant, qui parfois va vouloir ne pas manger telle ou telle chose et c’est normal, ça fait partie de son développement normal, et puis ce qu’on appelle les troubles de l’oralité, où là il y a besoin d’un soin et d’une prise en charge.

Et donc c’est vraiment proposer sans forcer, et si les parents sont inquiets, s’il y a une inquiétude autour de l’alimentation, je pense que ça vaut toujours le coup d’en parler au pédiatre, qui est quand même le professionnel en première ligne, qui pourra par la suite adresser à l’orthophoniste s’il le sent, pour accompagner les parents de façon la plus ajustée possible.

J – D’accord. Alors j’ai envie de dire aussi, pour prépararer les repas, il faut s’y prendre en amont, préparation du repas avec l’enfant, lui faire toucher…

A – Oui, bien sûr, si c’est possible, l’activité de faire la cuisine avec l’enfant est l’activité la plus adaptée pour qu’il puisse avoir toute cette préparation en amont. L’odeur, le goût, la vue, le toucher. Et puis prendre plaisir avec ses parents aussi autour de cette activité.

J – Donc c’est vraiment important, me semble-t-il, que tout se passe dans les bonnes conditions, que les parents soient détendus aussi à ce moment-là ?

A – Oui, c’est souvent plus facile à dire qu’à faire, mais effectivement c’est important qu’il puisse se passer des choses, des intéractions sympathiques autour du repas pour détendre l’atmosphère et pour que le repas puisse après se passer dans les meilleures conditions possibles.

J – Je vous remercie vraiment Audrey de tous ces bons conseils

Mille merci à RCF radio et à l’émission Vies de famille pour cette interview pleine de bons conseils et surtout de bonnes explications sur ce qu’est le trouble de l’oralité alimentaire !

A partager sans modération autour de vous !

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