Anormale ?

Pendant près de 20 ans, j’ai été persuadée que je n’étais pas normale. Petite, j’en avais même très honte. Mes parents ont dû me retirer de la cantine car ils refusaient de m’accorder un traitement spécial. Tous les enfants étaient sommés de terminer leur assiette, il n’y avait aucune raison que j’aie droit à un traitement de faveur. Sauf que si, il y en avait une de raison. J’étais malade. Je le suis toujours d’ailleurs. Ceux qui ne me trouvent pas simplement difficile supposent que je suis anorexique. Parce qu’aujourd’hui, une jeune fille qui refuse de manger est forcément anorexique. On ne va pas chercher plus loin. Mais mon problème est totalement différent. Je mange. À ma faim. Je suis même gourmande, à ma manière. Pendant longtemps, je ne savais pas l’expliquer. Je n’arrivais pas à mettre des mots sur ce mal qui me ronge de l’intérieur depuis ma plus tendre enfance. D’aussi loin que je puisse me rappeler, je n’ai rien connu d’autre. J’ai appris à vivre avec, et si je vivais en autarcie tel Robinson sur son île, cela ne me poserait pas franchement de problème. À condition qu’il y ait un frigo, un congélateur, des plaques de cuisson, et des paquets de pâtes, et de pommes de terre à profusion, bien sûr. Sinon, je serai mal… Mais comme je ne suis pas un sauvage barbu sur une île déserte, je dois bien assumer mon blocage face aux regards des autres. Parce que mine de rien, on ne dirait pas comme ça, mais les repas tiennent une place super importante dans la vie sociale. Alors quand on a ce genre de problème, on se retrouve obligée de l’expliquer à chaque nouvelle personne avec qui on mange, sans exception. Aujourd’hui ça ne me pose plus de problème d’en parler, même si ce n’est jamais un moment agréable pour moi. Toujours ce sentiment d’anormalité qui flotte au fond de moi. Il y a assez peu de temps que j’arrive à bien l’expliquer. Dans les faits, ce n’est pas compliqué : j’ai un blocage avec la nourriture. Je ne peux pas goûter de nouvelles choses. Mais en réalité, c’est bien plus compliqué, parce que les gens ne réalisent pas l’ampleur que peut avoir un tel blocage. Ils interprètent mon « je ne peux pas » par un « j’ai pas envie », un « je ne veux pas ». Alors j’ai dû trouver une autre manière d’expliquer les chose. Maintenant je dis que j’ai une phobie de la nourriture. Que c’est comme une personne qui a le vertige, et qu’on place en haut d’un pont, un élastique accroché aux pieds. Elle sait qu’elle ne risque rien, qu’il ne lui arrivera rien, mais c’est plus fort qu’elle, elle est incapable de sauter. Tout comme un arachnophobe sera incapable de se raisonner en se disant que ce n’est pas la petite bête qui va manger la grosse. Moi c’est pareil. Placée face à un plat qui m’est inconnu, je suis paralysée, prise d’une peur panique qui défie toute rationalité. Et finalement, j’avais trouvé le bon mot en comparant mon blocage à une phobie, puisque ce que j’ai, c’est une néophobie alimentaire.

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3 réflexions sur “Anormale ?”

  1. Bonjour, on vient de me recommander votre site.
    En effet, j’ai appris depuis peu de temps que je n’étais pas seule à ne pas manger comme les autres… cela me fait un peu bizarre qu’une personne soit « comme moi » et ça me rassure un peu en même temps.
    Depuis toute petite je mange les mêmes aliments et évidemment cela me gâche la vie depuis de nombreuses années.
    Aujourd’hui j’ai 18 ans et je veux vraiment changer ça !
    J’aimerais savoir si nous pouvions en parler ensemble, si ça ne vous dérange pas.

    Cordialement

  2. Bonjour j’aimerais savoir si l on pouvais rentrer en contact et échanger sur la néophobie dont je suis moi meme atteinte ., Votre ecrits et témoignages retentissent en moi comme vécus. en vous lisant j’ai eu l impression de me relire. s’en ai a la fois déstabilisant et rassurant , de savoir que l on n’est pas seuls a subir cette maladie, et surtout de pouvoir mettre un nom dessus.

    j’espere pouvoir echanger avec vous.
    merci par avance
    cordialement laura

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